Constable

La pratique de l’huile sur le motif remonte au XVIIIème siècle. Mais en Angleterre, elle n’a pas connu le même développement que dans d’autres pays européens.

L’aquarelle s’y est par contre  développée de façon privilégiée, au point de devenir vers 1800 une des techniques les plus en vogue, et que de nombreux peintres trouve dans son enseignement un complément important de leurs revenus. En 1802, Constable refusa un poste d’enseignant dans une école militaire « qui aurait sonné le glas de toutes mes aspirations vers la perfection dans l’art que j’aime ».

Constable ne cesse de se défier de tout ce qui pourrait l’écarter du réel. Il se défie de toute « manière » : « je ne vois pas de manière dans la nature ». Constable avoue en 1830 que s’il vivait à la campagne et pouvait se le permettre, jamais il ne peindrait un paysage autrement qu’en plein air…. Il pensait que la plus part des artistes esquissait leur sujet sur le motif pour les finir à l’intérieur ; et qu’il était capable de distinguer les parties d’un tableau peintes al fresco de celles qui avaient été élaborées en atelier » (conversation rapportée in art of england 1821-37  de Whitley).La peinture sur le motif semble un des points forts du travail de Constable.

La grande exposition de 1991 à la Tate Gallery a compté une quinzaine d’œuvres qui auraient été réalisées en plein air. La plupart reposent pourtant sur de nombreuses esquisses et dessins comme « le moulin de Flatford ».

Constable. "moulin de Flatford" 1816-17

Constable. « moulin de Flatford » 1816-17

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi, la seule oeuvre que Constable disait vraiment avoir été réalisée en extérieur est « construction d’un bateau » : Il y voit « l’immobile lumière du soleil après une chaude journée d’été » (in memoirs of the life of J. Constable de Leslie.1951). Pour autant la composition se fonde pourtant sur un croquis du 7 septembre 1841!

"péniche en construction". 1815 Victoria and Albert Museum

« péniche en construction ». 1815 Victoria and Albert Museum

 

 

 

 

 

 

 

Le tableau a été peint en trois couches successives, et plusieurs repentirs lorsqu’il a décidé de limiter le nombre de ses personnages : il ne s’agit vraiment pas d’une peinture faite uniquement sur le vif.

 

Contrairement à ce qu’il pouvait affirmer au début de sa carrière, Constable a évolué vers une peinture sur le motif certes, mais de façon moins stricte. Lorenz Eitner remarque l’évolution surtout après le succès de « la charrette de foin« .

"la charrette de foin" 1821

« la charrette de foin » 1821

 

 

 

 

 

 

Le tableau a été réalisé après plusieurs esquisses à l’huiles séparées. Exposé au salon de la Royal Academy en 1821, il eut peu de succès, mais remarqué par Géricault et le critique français Charles Nodier.

 

En 1824, le marchand français John Arrowsmith l’acheta à la suite de sa réputation française. Exposé au Salon à Paris en 1824, il obtint la médaille d’or. Lorenz Eitner continue «  la charette de foin marque le début d’un changement de direction : dès lors, le naturalisme de Constable perd de sa fraîche objectivité et ses paysages deviennent moins descriptifs. Ses couleurs s’assombrissent et sa touche se fait plus lourde, de rudes entaillas au couteau remplaçant son fluide travail au pinceau ».

 Constable "le cheval sautant". 1825


Constable « le cheval sautant ». 1825

 

 

 

 

 

 

 

En parlant des paysages ultérieurs, comme « le cheval sautant » de 1825, Eitner constate combien sa facture devient presque tragique. Les contrastes sont plus forts, comme entre le ciel où les nuages semblent tout droit venus de ses études récentes des effets atmosphériques, et les grandes masses sombres des arbres.

 

Cette évolution dans le style de Constable montre combien sa position est difficile. Il est distant des « visions » de Turner. Pour autant, il ne veut pas se limiter à simplement représenter ce qu’il voit. Selon lui, il faut unir l’imagination et la nature. Friedrich déclarait « observe la forme avec précision, la plus petite comme la plus grande, et ne sépare pas ce qui est petit de ce qui est grand, mais ôte en revanche le mesquin de l’ensemble! ». De même en 1819, Constable montre une intention qui dépasse le seul regard sur la nature : « chaque pas et chaque objet vers lequel je dirige mes yeux confirment la véracité de cette sublime parole de la Bible : « Je suis la résurrection et la vie ». (cité par W. Hofmann p381 in « une époque en rupture »)

 

old-sarum-rotating-image-1Losqu’il peint « Old Sarum », Constable se concentre sur des phénomènes naturels, mais ne se limité plus à eux.

Old Sarum était autrefois une colline fortifiée, et ce dès l’âge du fer, puis devint un enceinte à l’époque romaine. Guillaume le Conquérant y avait aussi affermi sa souveraineté. Le lieu est chargé du passé.

A travers la représentation du lieu présent, Constable évoque tout le passé. Il évoque aussi sa résonance dans le présent alors que la circonscription dont le lieu dépendait avait perdu sa représentation au parlement. Constable, conservateur, rappelle les valeurs anciennes du passé.

sous la mezzo-tinto gravée par Lucas d’après le tableau, on peut lire la citation de la Bible (Hébreux,XIII, 14) « Here we have non continuing city » (car ici nous n’avons pas la cité permanente).

 

"Old Sarum" 1834

« Old Sarum » 1834

 

Werner Hofmann établit un parallèle entre Friedrich et Constable. Celui-ci, dit-il, fait sien une citation de George Crabbes (in A lovers Journey 1912) « c’est l’âme qui voit. L’oeil extérieur montre les choses mais c’est l’esprit qui les perçoit ». Cette volonté de dépasser le regard sur le réel est la même que celle de Friedrich qui déclarait « le peintre ne doit pas seulement peindre ce qu’il voit devant lui mais aussi ce qu’il voit en lui. Et s’il ne voit rien en lui, qu’il renonce à peindre ce qu’il voit devant lui! », ou encore, « clos ton oeil physique afin de voir d’abord ton tableau avec l’oeil de l’esprit! Ensuite fais remonter au jour ce que tu as vu dans ta nuit afin que son action s’exerce en retour sur d’autres êtres, de l’extérieur vers l’intérieur! »

Constable disait  du regard, qu’il devait être actif, comme pour déchiffrer le réel : « l’art de voir la nature doit être appris pour ainsi dire come la lecture des hiéroglyphes égyptiens. »

Le sublime n’est pas aussi distant de l’observation du réel qu’on peut le croire d’abord. Burke, était autant captivé par l’infini que par l’imitation des choses infimes. Et Alison écrivait en 1790 dans ses « essais sur le goût » qu’il « n’y a pas que l’orage qui soit sublime. Le son faible et sourd qui le précède est plus sublime encore que l’explosion des éléments. »

 

Pour autant, dans cette observation scupuleuse de la réalité, il ne s’agit par pour Constable de représenter parfaitement. Comme tous les modernes après lui, il se fixe la difficile loi de désapprendre, pour laisser la place à cet œil intérieur : »l’art satisfait en évoquant, pas en trompant. » Face au réel, le sentiment est supérieur à la réalité empirique. « peindre n’est pour moi qu’un synonyme de sentir » écrit-il en 1821.

Tous n’ont pas été convaincus par la « négligence affectée » de Constable. Stendhal écrit : « la vérité saisit d’abord, et les plans de ces tableaux ne sont pas bien observés, d’ailleurs il n’a aucun idéal… » Mais, face à ces reproches, il voit au contraire dans la peinture un véritable aventure scientifique. Dans la quatrième conférence, il écrit « la peinture est une science et devrait être pratiquée en tant qu’exploration des lois naturelles. Pourquoi ne pourrait-on concevoir la peinture de paysage comme une branche de la philosophie de la nature, et les peintures simplement comme des expériences pratiquées au nom de cette philosophie? » Chez Constable, la touche n’est pas une évocation évanescente. Elle ne cherche pas à évoquer l’instant qui passe comme le feront les impressionnistes. « L’art satisfait en évoquant » disait-il : le peintre fait revivre l’émotion qu’il a perçue, un souvenir…

 

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