« Courbet ou la peinture à l’œil » de Jean-Luc Marion

1. Courbet comme paradoxe

les anecdotes sont nombreuses qui toutes affirment que Courbet est incompréhensible

« qui est-ce qui comprend Courbet ? »  ou « Courbet avait l’image toute faite dans son œil »Cézanne

« Courbet est novateur, radicalement novateur. (…) Eh bien! Je vous le dis, nous assistons à la naissance de quelque chose qui , en peinture, sera plus grand que tout ce qu’ont laissé les anciens et les modernes. » Prud’hon

« Avez-vous jamais rien vu de pareil ni d’aussi fort sans relever de personne? Voilà un novateur, un révolutionnaire aussi, il éclot tout d’un coup, sans précédent : c’est un inconnu! » Delacroix

« Comme il arrive à la nature, de gâter elle-même ses plus belles créations; elle a doué ce jeune homme des dons les plus rares : né avec des qualités que tant d’autres acquièrent si rarement ; il les possède épanouies dès son premier coup de pinceau ; ce prélude jette avec une sorte de bravade une oeuvre magistrale sur les points les plus difficile : le reste, qui est l’art, échappe absolument. il n’a rien donné de lui-même et il avait tout reçu! Quelles valeurs perdues! Quels dons sacrifiés ! Est-ce assez remarquable et désolant ? Rien comme composition, rien comme dessin, des exagérations, presque une parodie : ce garçon-là, c’est un œil ; il voit, dans une perception très distincte pour lui, dans une harmonie dont la tonalité est une convention, des réalités si homogènes entre elles, qu’il improvise une nature plus énergique en apparence que la vérité, et ce qu’il présente comme talent d’artiste est une nullité. Cet autre révolutionnaire sera un exemple dangereux. » Ingres (propos rapporté dans une lettre de Courbet à F. Wey)

 

En effet, Courbet est à la fois

- peintre révolutionnaire et vivant souvent reculé dans sa ville natale.

- communard et protégé par aristocratie du second empire.

- peintre génial, et pourtant dénué de tout art

 

pour comprendre un peu ces paradoxes, il faut les reprendre un à un

Delacroix comme Ingres le considèrent révolutionnaire car il n’a pas de maître, parce qu’il manque de tout art. Et Ingres ajoute que ce qu’il peint est « plus énergique que la vérité » : l’apparence de ce qu’il fait l’emporte par son énergie sur que l’on tenait d’habitude pour la vérité (l’art, les artistes, le public).

et pour surpasser ce que l’histoire de l’art a produit, il fallait que Courbet soit un œil (et non pas seulement qu’il en ait un), comme le disent Ingres et Cézanne ci-dessus.

D’après Jean-Luc Marion, il ne s’agit pas de peindre en voyant ou de peindre après avoir vu, mais de « voir en peignant, voir en même temps , dans le même geste et dans la même énergie que l’on peint ; autrement dit, voir en tant que peignant »(comme Aristote qui dit que la connaissance, l’energieia de l’esprit qui connaît devient la même que celle de la chose connue)(p.25)

comme on peut le voir dans l’anecdote fameuse où Courbet découvre ce qu’il peint après l’avoir fait (p.26)  il ne s’agit plus de re-présenter.

Chasseurs dans la neige.64

Chasseurs dans la neige.64

 

 

 

 

 

 

D’habitude, on voit, on garde en mémoire, puis on peint.

mais pour Courbet, le tableau surgit de l’œil (…)ce qui fait l’idée, ce n’est ni une sensation, ni un idéal, ni une imposition de forme (dessin) , ni une constitution d’objet (composition), mais un phénomène qui surgit à l’œil.

le jugement de Maxime du Camp le prouve : Courbet « a à son service une main qui peut beaucoup, mais le cerveau est absolument absent, il voit et ne regarde pas. il ne sait ni chercher , ni composer, ni interpréter ; il peint ses tableaux comme on cire les bottes, c’est un ouvrier de talent, ce n’est pas un artiste. »

 

2. du réalisme à la peine

Le terme apparaît en 1828 dans le mercure de France.  Il est repris par Garcin qui écrit dans  le messager de l’assemblé  le 10 nov 1851, où il parle d’une réunion où aurait été Courbet. Celui-ci y est définit comme «  ami de la vérité ».

Pour courbet, il s’agit de revenir à l’avant du regard objectivant. Il revient à « voir en peignant » ? Jean luc Marion p46 raconte l’anecdote du veau tout crotté que Courbet veut peindre… mais le lendemain, le fermier l’a tout nettoyé pour le peintre. Le fermier ne voyait pas son veau comme tel, il le regardait comme une chose qu’il pouvait rendre conforme à son idée préétablie.

les casseurs de pierres. 1849

les casseurs de pierres. 1849

C’est vrai aussi pour les « casseurs de pierres » de 1849. « je n’ai rien inventé, cher ami, chaque jour allant me promener, je voyais ces personnages ».  Il les voyait chaque jour travaillant à réparer la route affaissée par le gel. Personne ne faisait attention à eux, tant ils faisaient partie du paysage, comme la « bohémienne et ses enfants » qui trimbalaient ses mômes. Courbet est très précis sur la peine de leur travail. « dans cet état, c’est ainsi qu’on commence, c’est ainsi qu’on finit » : ce travail ne permet pas qu’on puisse en sortir. On aurait pu attendre un style édifiant comme chez Millet ou révolté comme chez Daumier, ou distancié comme chez Caillebotte… mais Courbet neutralise tout pathos.

« vous êtes de ceux qui croient que je fais de la politique en peinture. Je fais des Casseurs de pierres, Murillo fait un casseur de poux. Je suis socialiste et Murillo est un honnête homme, c’est incroyable ? Une jolie chose aussi, c’est que c’est le Français qui coupe là-dedans »

Courbet veut simplement dire qu’il se contente de regarder ces hommes comme on ne les regarde jamais, dans leur peine. Ici, il s’agit de montrer leur peine physique.

Il en est de même pour le fossoyeur de l’enterrement à Ornans  qui a un genou en terre, non par défi, mais parce qu’il a le dos cassé par le travail accompli.

La peine est omniprésente dans son œuvre.

« enfin, on se fait à tout ; ces tourments deviennent à la fin une nécessité, un besoin. Quand on a renoncé au bonheur, à la jouissance de la tranquilité, on se rattrape sur le devoir. »

« je suis convaincu que la douleur est une bonne chose »

« il faut de la peine dans la vie pour rester dans sa foi »

Pour rester peintre, pense-t-il. Courbet a pensé  tout un ensemble de ses tableaux dans cette optique, comme les « cribleuses de blé » de 1855.

Parmi les trois personnages, seul le central crible. Celle de gauche (juliette, sa sœur) someille et trie lentement d’un doigt. Et le garçon de droite, il inspecte un tarare, outil mécanique qui trie mécaniquement le blé.  Face à ces deux là, la figure centrale peine, avec une posture intenable très bien vue par le peintre. Le peintre a représenté Zoé sa sœur dans la pénibilité de cette position.

De même pour la fileuse endormie. Ou même pour es demoiselles des bords de Seine. Elles se reposent après le travail. Est-ce le travail de prostituées qui est suggéré  ( ?) comme dans paresse et luxure.

De même pour les paysans revenant de la foire de Flagey. Le père ne parle pas, tout comme ses enfants, tous fatigués. Le plus écrasé par la peine est l’autre personnage qui tient le cochon, le fils mal aimé .

De même pour une après-dinée à Ornans. On peut comparer la scène avec vocation de st matthieudu caravage. Ici, il ne se passe rien.les personnages ne pensent à rien. Seulement à leur peine.

De même pour un enterrement à Ornans qui montre la peine du deuil. Contrairement à l’esquisse de Besançon, la foule ne s’écoule plus. Nous sommes à la fin de la procession. L’officiant et le clergé sont déjà arrivés, de même que les autorités et les nommes qui représentent les anciens de 1793. Les porteurs de cierges arrivent de la gauche et bousculent un garçon de cœur qui brule le chapeau de l’un d’entre eux. Les femmes aussi viennent de gauche et ne peuvent entrer et voir la cérémonie. Ce mouvement est mis en évidence par  le contraste avec les falaises qui dominent. La vie est coincée entre les falaises et la tombe, coincée par l’absence de perspective.

Courbet ne cherche pas à représenter un spectacle, mais la peine de cet enterrement. La peine est montrée par le fossoyeur qui se redresse après le travail, par les porteurs de cercueil… ou par la peine morale de Juliette avec son mouchoir, Zélie songeuse et Zoé qui enfouit son visage… jusqu’à la mère de Courbet représentée au bord du tableau. De même pour les hommes qui montrent toutes les attitudes devant la peine……………. Tous sont placés sous le signe de la croix, qui représente le crucifié.

Mais de quel mort s’agit-il ? pas de corps, peu de tombe ? est-ce lapremière sœur du peintre, Clarisse, (1821-34) ? à moins que ce ne soit la montée du nihilisme, de la mort de Dieu moderne ? Courbet aurait alors choisit le premier enterrement fait hors du cimetière chrétien, dans le lieu autorisé par Napoléon ,mais longtemps refusé par Ornans. Ce serait alors la tombe sans Dieu, presque un évènement politique.

 

3. neutraliser le « moi »

Souvent, Courbet est montré avec une hypertrophie du moi.

Courbet se met en scène au début de son œuvre, comme dans portrait au chien noir. De 1842. Mais il ne s’agit pas de seulement se  mettre en scène. il ne veut pas montrer l’homme en général comme les autoportraits de Rembrandt par exemple, ni même se montrer en spectacle comme un autoportrait de Poussin par exemple. Il veut montrer le regard : il toise le spectateur.

De même dans l’homme à la ceinture de cuir.  On peut se référer à l’homme au gant du Titien… mais ici, le véritable sujet est le regard qui dit combien il est maître de son regard. il dit qu’il peut ne plus nous regarder.

 

ainsi les autoportraits oscillent entre la mise en spectacle et l’exaltation du regard :

-           au début, il y a le désespéré de 1841 ou le fou de peur de 1843. il y a influence de Goya, Zurbaran ou des études d’expression de Le Brun… mais elles expriment la terreur de Courbet devant le visible.

-          puis il y a le travestissement du regard entre le début des années 40 et les années du « réalisme » vers 50-55 : portrait de luis Guéymard dans le rôle de titre de robert le diable.1857qui tourne ce regard en dérision, comme pour dire qu’il n’est là que pour rire. de même pour les joureurs de dames de 44, qui serait une version déguisée de l « ’après diner à Ornans ». de même pour le guitarrero de 44, ou le violoncelliste dans lesquels il se déguise. dans toutes ces peintures, il semble se protéger d’hallucination.

 

l’homme blessé (1844-54) marque un tournant. la peinture montre trois état. d’abord une femme, puis un couple, assis de face, une femme repose  la tête sur l’epaule de l’homme assoupi, comme dans les amants dans la campagne  de 1844-47

puis le visage fut effacé, à la suite de sa rupture avec Virginie Binet en 54 ( ?)…. il fut blessé, on ne sait pas si cela était réel ou métaphorique, mais il garda la peinture jusqu’à la fin de sa vie.  on peut y voir la mort du peintre comme dominateur de sa peinture. désormais, il se veut passif.

Michael Fired analyse ce retrait en remarquant que dans les autoportraits ultérieurs, Courbet est en diagonale et non plus frontale. de même on peut analyser le thème fréquent du sommeil, qui est aussi un abandon, ou du fumeur dans l’homme à la pipe de 47 où il s’était d’abord représenté e peintre, avec le traditionnel beret carmin. l’homme ne s’affirme plus, le regard devient obscur, perdu.

 

dans les autoportraits ultérieurs, on peut classer

  1. la rencontre  de 54

la rencontre.1854-55

la rencontre.1854-55

Bruyas et son serviteur Calas se sont mis à l’ombre pour l’attendre. Ils sont en gros manteau, vêment de ville, au contraire de Courbet en chemise qui se promène, un baton à la main, et non une canne d’apparat. Bruyas et le serviteur se font humbles devant le peintre qui seul a pu et su voir.

c’est le peintre qui est privilégié car il peut voir, car il a pu se soumettre à la chose. Bruyas salue cette soumission. il salue l’acte de peindre que cette soumission rend possible.

 

 

  1. la curée de 1857

la curée. 1856

la curée. 1856

 

c’est le premier d’une série sur la chasse promise à un grand succès.

au départ, c’était un autoportrait, car la toile fut agrandie à droite et à gauche à la demande de l’encadreur.

mais le chasseur semble disparaître à côté du jeune homme qui sonne la fin de la chasse et excite en même temps les chiens pour qu’ils dévorent les viscères des chevreuils. Le peintre là encore s’abstrait. il est absent. il peut ainsi laisser toute sa place au sujet désormais, du chevreuil mort.

 

 

 

  1. Gustave Courbet à Sainte-Pélagie ((1871-72).

autoportrait à Sainte-Pélagie.1872

autoportrait à Sainte-Pélagie.1872

 

 

 

on pourrait croire qu’il s’agit de se représenter peintre qui résiste à la répression… mais en fait Courbet udit qu’il n’est plus peintre.

« il y a des gens qu’on met en prison parce qu’il ne veulent pas travailler, tandis que moi, je suis en prison pour me priver de travailler. »

la prison la transformé en vieillard avant sa mort 5 ans plus tard.  il a les yeux ouverts, mais n’a plus rien à voir, comme enfermé hors du visible.

 

 

 

 

mais avant ce dernier épisode, la mise à distance du peintre a rendu possible la peinture. Castagnary explique :

« vers l’age de 25 ans, Courbet fit une révolution dans sa propre cervelle. Il oublia la double éducation classique et romantique qu’il avait reçue et qu’il s’était donnée, mit Flajoulot au rancart et ferma ses livres de poésie. entre les choses et lui désormais, il n’y auras plus d’intermédiaire ».

Courbet ne considère plus le monde comme une collection d’objets à constituer, dans une visée intentionnelle, donc à partir d’un ego qui voit et peint.  Courbet veut disparaître, se neutralise, pour rendre la vision des choses possible, en elles-mêmes, sans dépendre d’un sujet qui les représente.

 

4.                   peindre « à l’idée » ou « à l’œil »

« rien n’est fâcheux comme la peinture d’idées » (Zola)

« il y a trop longtemps que les peintres, mes contemporains, font de l’art à l’idée et d’après des cartons » (lettre à Marie Wey)

« il ne faut jamais avoir une idée, une pensée, un mot à sa portée, lorsqu’on a besoin d’une sensation. Les grands mots, ce sont les pensées qui ne sont qu’à vous. Les clichés sont la lèpre de l’art. Tenez la mythologie, en peinture, on peut la suivre à la trace, c’est l’histoire du métier envahissant. Quand on peint des déesses à la fin on plus peint de femmes. Faites le tour des Salons. Un bougre ne sait pas rendre les reflets de l’eau sous les feuilles, il y colle une naïade. La source d’Ingres ! qu’est-ce que ça a  à faire avec l’eau ? »

 

si on voit et peint trop bien, on peut partir d’un thème, trouver une diée, la développer, l’imaginer à coup d’esquisses… lui faire prendre forme.  le tableau alors se constitue, mais n’a jamais été vu. alors le tableau a été peint à l’idée et non à l’œil. la vue n’est plus qu’un pretexte.

« quand on l’amenait à parler sérieusement, il ne contestait pas le talent de Delacroix, mais il contestait son inspiration : « m. Delacroix fit des anges. Je ne vois pas ce que c’est que des anges. Vous ? Moi je n’en ai pas vu. Comment voulez-vous que je juge une forme qui représente un être imaginaire ? Ses ailes le rendent ridicule et difforme. Qu’on fasse des hommes, qu’on les fasse bie, là est le difficile. »

et

« vous prétendez représenter Charlemagne, César et Jésus Christ lui-même, sauriez-vous faire le portrait de votre père ? »

Courbet l’a peint de nombreuses fois, comme en 44, puis repris dans les paysans de Flagey ou quand il vient le voir dans son exil. Et  on sent le père peu à peu se rapprocher de lui, passer de la fierté inquiète devant le choix de son fils à la rêverie devant le succès puis à l’inquiétude devant sa fin prochaine, mais pour faire ce travail, il faut prendre du temps.

Cela se voit quand on compare le portrait de son père dans « une après-dîner à Ornans » avec son dernier portrait de 1873, lorsque son père vient le revoir, alors même qu’il sait son fils perdu, endetté, obligé s( ?)ans doute de laisser des petites mains réaliser de médiocres peintures sous son nom pour payer ses traites.  Il ne s’agit pas de peindre le portrait de son père « à l’idée » comme dans le « serment des Horaces » de David par exemple, mais de peindre à l’œil.

De même pour les paysages. Courbet se défie des peintres à la mode qui « font » du paysage

« il y a un tas d’imbéciles qui se figurent que ça se fait comme ça un paysage ! ils vous prennent une boîte, et ils s’en vont se poser, tantôt dans un pays, tantôt dans un autre. Ils rapportent leurs toiles, et ils vous disent : « ça c’est Venise ; ça c’est les Alpes ; ça c’est les Pyrénées. »  Tout ça c’est de la blague ! Pour peindre un pays, il faut le connaître. Moi, je connais mon pays, je le peins. Ces sous-bois, c’est  chez nous ; cette rivière, c’est la Loue ; allez-y voir, et vous verrez le tableau. »

(témoignage de Castagnary)

Ces peintres peignent « à l’idée », à l’idée qu’ils se font de ce qu’ils voient. Ils ne regardent pas, mais transportent leur idée. Jean-Luc Marion parle d’ « in-vu ». Courbet peint l’in-vu en ce qu’il ne se repose pas sur du « déjà vu ». Il rejette les maîtres et ne se repose que sur ce qu’il voit. Et Courbet peint vite, comme s’il voulait ne pas prendre le temps d’y regarder de trop près. Il peint quand la chose est encore à portée de vue, pendant qu’il l’a encore dans l’œil.La chose même

5.La chose même

A partir de 1855, on observe davantage de paysage, nature morte, de nus, d’animaux… de « chose même ».

J-L Marion  reprend la citation de Courbet :

« Dès que le beau est réel et visible, il a en lui-même son expression artistique. Mais l’artiste n’a pas le droit d’ampllifier cette expression. Il ne peut è toucher qu’en risquant de la dénaturer, et par suite de l’affaiblir. Le beau donné par la nature est supérieur à toutes les conventions de l’artiste. Le beau comme la vérité est une chose relative au temps où l’on vit et à l’individu apte à la  concevoir. L’expression du beau est en raison directe de la puissance de perception acquise par l’artiste. »

Courbet dans « écrits » p. 230

Pour expliquer que la puissance de l’artiste ne consiste pas dans une force de création, mais dans sa capacité à être réceptif pour « la montée de l’invu vers sa forme, à se rendre assez passif pour recevoir ce qu’un autre regard, trop actif, trop puissant, resterait inapte à susciter ou à repérer ?

 

Pour comprendre aussi cette volonté de réalisme de perception, on peut revenir

  1. à sa relation avec Baudelaire : « ce pauvre Baudelaire qui, un soir en Normandie, au coucher du soleil, m’amène à un rocher dominant la mer. Il me conduit devant une ouverture béante encadrée par des découpures des rocs : « voilà ce que je voulais vous montrer, me dit Baudelaire, voilà le point de vue »était-il assez bourgeois, hein ! Qu’est-ce que c’est des points de vue ? est-ce qu’il existe des points de vue ? »
  2. à cette autre anecdote avec Corot où Courbet se promène avec lui en cherchant un endroit où peindre. Courbet : « où que je me mette, ça m’est égal ; c’est toujours bon, pourvu qu’on ait la nature sous les yeux. » Courbet ne veut pas composer.

Parmi les grandes peintures réalistes, les marines : Courbet ne peint jamais des scènes maritimes, ni des naufrages (romantiques),ni des navires luttant contre les tempêtes (hollandais), ni des ciels complexes (Turner), ni des salons sur la plages (Boudin), ni de ports affairés (impressionnistes). Il peint la mer en soi.

 

la mer  (musée des BA de caen.1872)

la mer
(musée des BA de caen.1872)

  1. Dans « la mer » de Caen, ou celle de Pasadena, la toile se divise en 3 bandes horizontales de largeur inégale. Comme chez Rothko, l’espace est comblé avec une simplicité extrême, mais libère un horizon à la fois vide (pas de détail ni silhouette) et saturé (de couleurs). Le spectateur est rejeté hors de la toile et doit s’éprouver. Il est sans repère devant le tableau qui l’absorbe. C’est le contraire de ce qui se passe chez Friedrich par exemple ou le spectateur domine le paysage, même s’il est énorme. Ici, la mer aspire le spectateur. Tout point de fuite a disparu. La spectateur est exclu. La mer est seule.

 

  1. Dans la série de vague, on peut d’abord revenir à Cézanne :

Courbet - la vague' - 1870'

« les grandes vagues, celle de Berlin, prodigieuse, une des trouvailles du siècle, bien plus palpitante, plus gonflée, d’un vert plus baveux, d’un orange plus sale que celle d’ici, avec son échevellement écumeux, sa marée, qui vient du fond des âges, tout son ciel loqueteux et son âpreté livide. On le reçoit en pleine poitrine. On recule. Toutes la salle sent l’embrun. »

 

 

Ici, le spectateur est assailli. il voit arriver la vague vers lui.

Fried notait que Courbet tendait à faire déborder le tableau hors du cadre. Courbet en effet peint la vague juste avant qu’elle se brise. Il ne peint pas l’instant où la vague est au plus haut, mais juste quand elle commence à décroître, juste avant de se briser.

 

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