« intérieur au violon » de Matisse. (1918-21. Huile sur toile)

Matisse est un des peintres qui, au début du XX° siècle, ont modifié notre conception de la peinture et de l’art en général. « intérieur au violon» de 1918-21 est une de ses œuvres importantes de l’après-guerre, contemporaine de ce qu’on a appelé le « retour à l’ordre ». Son titre met en évidence les deux sujets importants du tableau. Matisse affirme ici son goût pour l’opposition entre les deux mondes, l’intérieur et l’extérieur, mais aussi pour la simplification décorative, et pour le violon et la musique en général.

Les couleurs frappent dès le premier regard, avec l’opposition entre les bleux et les rouge vermillon et le orange. Ces associations proches des complémentaires attirent notre regard vers les thèmes essentiels de son oeuvre, le violon et la fenêtre.
Depuis la 1ère exposition fauve en 1905, dont Matisse apparaît comme le peintre le plus important, la couleur ne cherche plus à imiter le réel, mais à construire le tableau en fonction des contrastes. A la renaissance, Alberti définit la peinture comme une « fenêtre ouverte sur le monde ». L’art a une relation mimétique avec le réel. Comme souvent, Matisse peint le thème de la fenêtre comme s’il s’agissait d’un questionnement. Matisse se situe entre la tradition byzantine dans laquelle le divin était omniprésent et la tradition moderne (après la renaissance) dans laquelle c’est le monde réel qui est important (pour Alberti, le tableau est une fenêtre ouverte sur le monde). La comparaison de cette oeuvre avec la « madone Rucellai » (1285 de Duccio) et avec « vierge du chancelier Rolin » de Van Eyck montre que la fenêtre qui, à la renaissance, s’était ouverte sur le monde redevient opaque. La clarté de l’horizon qui éclairait le tableau de Van Eyck semble moins profonde dans le cas de Matisse.

La fenêtre est une ouverture dans un intérieur devenu opaque.

L’intérieur est plus proche de l’atmosphère symboliste (Moreau son prof aux BA de Paris). Faire référence à Huysmans : dans à rebours, le personnage des Esseintes se retire hors du monde dans un intérieur peuplé d‘œuvres symbolistes. Il recrée un univers qu‘il veut parfait. « l’araignée » de Redon est une des oeuvres qu’il expose dans son appartement.

L’extérieur fait référence à Monet (la lumière et le soleil) qui l’avait beaucoup influencé avant le fauvisme.
La fenêtre centrale de ce tableau témoigne du conflit entre la subjectivité et l’objectivité, entre le moi et le monde. Ici, le conflit semble se résoudre dans un équilibre entre les deux côtés de chacun.

II. Abstraction-réalisme

1. Evolution vers l’abstraction

Le thème de la fenêtre est fréquent Au moment où la peinture s’éloigne de tout souci mimétique, sans doute sous l’influence du conflit de la peinture avec la photographie.

La fenêtre souligne que le tableau doit rester une ouverture, même s’il devient plat (« se rappeler qu’un tableau, avant d’être une scène de bataille… est une surface recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées… »(M.Denis)

Bonnard refuse de créer des « trous » dans son tableau. il veut qu’ils soient plats.

2. Jeu de perspective-tension

La perspective est introduite par les obliques qui ramènent le regard vers le point de fuite
C’est comme dans
« la desserte rouge.  » de matisse en 1909

Ici les diagonales sont introduites par la fenêtre : cette perspective donne de la réalité.
Mais la table est relevée parallèlement au tableau vertical par son côté vertical. Et le volet de la méridienne crée une ambiguïté sur la perspective.
La confrontation se joue donc ici entre un intérieur décoratif mis à plat et un extérieur ouvert.

3. Mise en relation des deux mondes.

Le paysage extérieur n’est qu’évoqué. Il n’est traité que par les touches de couleur claire pour le palmier.
On n’est ici ni dans le cas des « odalisques » du début des années 20, ni dans « la conversation » où la fenêtre est devenue tableau en perdant toute allusion à la troisième dimension.
Ce tableau de Matisse établit une liaison entre le monde et l’imaginaire en nous amenant sans cesse à passer d’un monde plat à la troisième dimension. La table comme la fenêtre sont des ruptures dans l’aplat noir de cet intérieur qui nous rappelait aussi la dureté du monde de la guerre 1914-18, ou de 39-45.

III. La musique

1. Dans ce dialogue entre l’extérieur réel et l’intérieur qui isole comme un refuge, mais permet aussi le recueillement, le violon est un élément essentiel : la boite dans laquelle il repose est en perspective – il est un écrin et est réel.
2. L’intérieur noir est conçu comme un écrin comme dans « A rebours » de Huysmans. Le noir étouffe la lumière de l’extérieur.
3. mais le velours bleu est la couleur la plus intense du tableau. La boîte se détache sur le fond noir comme si la musique et son abstraction devenaient plus réelles que le reste. Cela semble faire allusion à la réflexion d’Apollinaire qui vient alors de mourir de la grippe espagnole, selon laquelle la peinture est appelée à devenir aussi abstraite que la musique.

conclusion

Cet « intérieur au violon» témoigne d’un dialogue constant chez Matisse entre l’objectivité et la subjectivité. Dans l’atmosphère étouffée de cet intérieur on croit voir jaillir la lumière du monde extérieur, comme l’imagination pouvait sauver de l’enfermement de la fin de la guerre. Cet intérieur mis à plat, décoratif, peut être analysé comme une dimension sacrée que Matisse convoque face à un réel profane.

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