1520. Maniérisme

LE MANIERISME

I. INTRODUCTION

  1. Histoire du terme « maniérisme »

Le terme de maniérisme est couramment employé aujourd’hui pour désigner principalement certaines manifestations artistiques réalisées en Europe entre 1520 et 1620 environ. Ainsi entendu, le maniérisme recouvre pratiquement presque tout le XVIe siècle européen ; stylistiquement, il se situe entre l’apogée de la Renaissance et les débuts du baroque et du classicisme.

L’épithète « maniériste » apparaît pour la première fois au XVIIe siècle chez Fréart de Chambray (1662) et le terme de maniérisme seulement à la fin du XVIIIe siècle, pour devenir tout à fait courant au XXe. En héritant des idées et des préjugés du XVIIe siècle, les historiens ont porté sur le maniérisme un jugement d’abord négatif. Ce préjugé s’est maintenu jusqu’au XXe siècle où les travaux des chercheurs européens permirent, en la situant dans le temps, d’approfondir la notion de maniérisme, de la valoriser en attirant l’attention sur des œuvres d’art souvent négligées, parfois dépréciées, ou même inconnues.

 Giotto. Présentation au temple padoue.1304-05

    Chez Vasari, le terme maniera est employé de deux façons différentes. La première acception a le sens de style : l’art « ancien » de Giotto (maniera vecchia) est ainsi opposé à l’art « moderne » de Léonard (maniera moderna). D’autre part, Vasari qualifie cette maniera moderna de bella maniera : pour lui, elle implique certaines qualités exceptionnelles, l’harmonie et la mesure (regola, ordine, mesura, disegno), l’imagination et la fantaisie (fantasia). Ainsi entendue, la bella maniera exprime (  comme l’a montré John Shearman), l’idéal « courtois » et raffiné du XVIe siècle, tel que l’incarne, par exemple, le Courtisan de Baldassare Castiglione. La recherche de beauté et de grâce s’y confond avec celle de perfection, de « savoir-faire », de virtuosité et d’élégance.

 

Dans ce sens, le terme de maniera n’est évidemment jamais employé de façon négative et ne correspond pas du tout à l’adjectif « maniéré » (manieroso, manierato) qui a aussi un sens péjoratif.

Le point de vue de Vasari est, naturellement, basé sur la certitude de la supériorité de la Renaissance et de ses grands créateurs, en particulier de Michel-Ange. Cependant, peu à peu, l’idée d’une décadence des artistes du XVIe siècle par rapport à la perfection idéale de Michel-Ange va se faire jour. Il s’élève contre ceux qui abandonnèrent l’étude de la nature et vicièrent l’art avec la maniera définie comme une « idée fantastique fondée sur la pratique et non sur l’imitation ». En fait, Bellori, en condamnant les imitateurs de Michel-Ange et de Raphaël, initiateurs de cette mode artistique, situe historiquement ce mouvement.

2. Maniérisme et baroque

Au début du XIXe siècle, on considérait encore généralement le maniérisme comme un style sans importance historique : c’est ainsi que Heinrich Wölfflin (1888) croyait à une évolution ininterrompue du classicisme de la Renaissance au baroque du XVIIe siècle, termes qui s’opposaient, pour lui, de façon antinomique, comme le classicisme et le romantisme. Les artistes de cette époque, pour Alois Riegl (1908), ne sont pas de simples copistes, puisqu’ils ont créé un art original, l’art décoratif. M. Dvorak (1918), en reprenant magistralement toutes ces intuitions, affirmait l’autonomie du style maniériste : pour lui, tandis que les élèves de Raphaël renouvelaient le langage décoratif, une nouvelle peinture religieuse naissait dont la conception était entièrement opposée au rationalisme naturaliste de la Renaissance. Les données essentielles de cet art sont le mouvement, la fantaisie, le drame, le subjectivisme et l’expressionnisme.

 

Cette position, brillamment soutenue par Dvorak pour qui l’histoire de la culture est intimement liée à l’histoire des formes, ouvrit le long débat passionné de W. Weisbach (1919-1934) et de N. Pevsner (1921-1928) : le premier soutenant que l’art de la Contre-Réforme est l’art baroque, alors que, pour Pevsner, c’est le maniérisme, dont il valorise, en même temps, certains caractères comme le retour au gothique, par exemple, où, plus tard, G. Weise (1960) verra une caractéristique latente dans tout l’art du XVIe siècle (preuve pour lui de son manque d’originalité).

 

En 1921, Lili Fröhlich-Bum mit l’accent sur une forme esthétique raffinée, différente de la tendance au baroque née de Michel-Ange, celle de l’art pour l’art, issue de Parmesan. En suivant l’influence de Parmesan, elle étudiait un courant stylistique d’une portée internationale qui s’étendait à tous les domaines de l’art.

3. Friedländer

dès 1915, en analysant les caractères essentiels des œuvres du premier maniérisme (irréalisme spatial, allongement des proportions des figures, verticalisme), il les interprétait comme une rupture avec l’idéal classique et l’expression d’une révolte contre l’esthétique de la Renaissance. Pour Friedländer, le maniérisme, c’est le style « anti-classique », dont l’origine se situe vers 1520, autour de Rosso, Pontormo et Parmesan dont l’historien valorise ainsi l’importance. Cette position était alors très nouvelle. Du même coup, les œuvres tardives de Michel-Ange (la Sixtine, la chapelle Pauline) deviennent les fondements du maniérisme. On pouvait d’ailleurs aussi saisir les prémices de cet art dans la Renaissance, idée qui sera reprise plus tard et développée par S. J. Freedberg (1961).

Au premier maniérisme succède, selon Friedländer, une phase d’imitation puis, à la fin du siècle, une nouvelle réaction (1930), également originale, mais qu’il appelle anti-maniériste, réaction qui n’a, en fait, que des sympathies pour l’art de la Renaissance ; vers 1580, dans plusieurs centres d’Italie, des artistes, de Federico Barocci à Caravage, élaborent une nouvelle conception esthétique et des thèmes différents d’une importance majeure pour l’art du XVIIe siècle.

 

  1. Sociologie et maniérisme

Certaines des remarques formulées au long de ces travaux rejoignent les études d’ordre sociologique qui visent à expliquer, à justifier ou à condamner le maniérisme. Ainsi, F. Antal (1948) lie sa naissance au déclin économique de l’Italie et à l’affaiblissement de la bourgeoisie. Cette analyse sociologique a été poussée à l’extrême par A. Hauser (1954) qui s’est efforcé, de plus, d’apporter sa propre contribution à la théorie du maniérisme, d’étudier son histoire en le situant par rapport à l’art moderne. Plus simplement, F. Würtemberger a aussi essayé de définir les relations entre le pouvoir et l’artiste à la Renaissance. Ces explications sociologiques sont évidemment en contradiction absolue avec celles qui voient dans le maniérisme une tendance permanente de l’esprit humain (E. R. Curtius, 1947 ; G. R. Hocke, 1957).

 

  1. Sources d’inspiration

« La mélancolie » gravure de Dürer

D’autres essais d’explication ont été cherchés du côté des sources artistiques: en 1969, on a rappelé l’influence du gothique et de Dürer, et également parlé du rôle de Donatello et, avant lui, de l’influence antique particulièrement transmise par l’intermédiaire des sarcophages, par exemple pour telles ou telles poses caractéristiques des membres (C. H. Smyth), ou pour certains aspects de la technique (le dessin linéaire d’un Rosso serait, pour Shearman, dérivé des cistes étrusques). Enfin, on a justement souligné le rôle essentiel joué par la gravure, admirable moyen de diffusion des idées et des formes.

 

                        la galerie François premier à Fontainebleau (15528-30)

    On a aussi rappelé avec raison le rôle des courants philosophiques du XVIe siècle, celui des académies et des historiciens, l’influence de l’Église et des ordres religieux. L’art maniériste est un art savant, volontiers littéraire qui suit la tradition du « Ut pictura, poesis ».

Les peintures à programme, les cycles allégoriques (galerie François Ier, fastes farnésiens), les emblèmes caractérisent l’inspiration des artistes de cour, s’adressant à un cercle lettré généralement restreint. Les fêtes de la première moitié du siècle, en particulier la plus belle : l’entrée de Léon X à Florence, préfacent les fêtes nombreuses et fort érudites auxquelles les plus grands artistes collaborèrent, tel Vasari lors des noces de François de Médicis et de Jeanne d’Autriche en 1565. À cette occasion défilaient des cortèges où les allégories et les triomphes étaient prétextes à une collaboration de tous les arts (poésie, musique, peinture, sculpture, costumes). Les pompes funèbres suscitaient les mêmes recherches (funérailles de Côme de Médicis, 1571). Dans la seconde moitié du siècle, ces fêtes s’accompagnaient de toute une architecture de fantaisie (arcs de triomphe, théâtre) ; elles donnèrent lieu à la publication de livrets. Elles atteignirent aussi à un éclat remarquable en France (fêtes des Valois).

 

II. La peinture

 

 

  1. Caractères généraux des œuvres

Toute analyse des caractères généraux de la peinture maniériste s’est révélée impossible en raison de la multiplicité des œuvres réalisées en une très longue période de temps. On ne peut dégager que de grands traits qui valent surtout pour les productions relevant du courant de la maniera :

 

« annonciation ».de Beccafumi en 1546
(musée de Sienne.detrempre sur bois)

- Primat du décoratif qui implique des conventions spatiales : juxtaposition des figures, plans superposés, raccourcis et « tours de force »

Bronzino. Moïse défendant les filles de Jethro. Offices’

- Aucune harmonie d’ensemble, ni dans la composition ni dans la couleur (Bronzino, Allégorie, National Gallery, Londres).

 Parmigianino. la Madone au long cou. Offices

- Allongement des formes (Parmesan, Madone au long cou, Offices, Florence).

 

- Angularité (Rosso, Déposition de Volterra), ou au contraire style « coulant » (Perino del Vaga, Le Martyre des Dix Mille, Albertina, Vienne).

pontormo. Déposition. 1526-1528, huile sur bois. Santa Felicità, Florence

 - Abstraction du dessin, de la couleur ou de la forme, parfois des trois à la fois (Pontormo, Déposition, Santa Felicità, Florence).

 

- Forme caractéristique : la forma serpentinata qui exagère le contraposto classique (Salviati, Charité, Offices, Florence) et montre la figure sous plusieurs angles différents en des rythmes opposés.

salière de Cellini, kunsthistorisches Museum, Vienne

  - Beauté des détails : la perfection des objets maniéristes est la confirmation de ce goût profond pour la précision minutieuse (cassette Farnèse, musée de Capodimonte, Naples ; salière de Cellini, kunsthistorisches Museum, Vienne ; casque et armure de parade de Charles IX, Louvre, Paris), l’ornement y répète souvent à petite échelle les motifs mêmes des grandes architectures, mais avec une fantaisie et une constante licence.

Ce style « miniature » est aussi typique du goût maniériste : on le voit en particulier apparaître dans la gravure et le dessin.

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