Dès le départ, le paysage est omniprésent dans l’œuvre de Courbet. Nous nous demanderons ce qu’il représente donc pour lui. Après avoir défini ce qu’est un paysage réaliste, nous nous demanderons s’il ne réutilise pas aussi certaines notions développées par les romantiques, comme le sublime.
Dès « l’autoportrait au chien noir », le paysage forme un arrière-plan sur lequel repose la rêverie du peintre. Le paysage représente les 2/3 des tableaux de Courbet : cette place de choix est montrée dans « l’atelier du peintre ». Le peintre peint un paysage d’Ornans, comme si cela seul lui importait.
« Pour peindre un paysage, il faut le connaître. Moi, je connais mon pays, je le peins ». Cela organise sa vie, mais est aussi une des originalités de son œuvre, soulignée par Castagnary « il découvrit les terres vierges où personne n’avait encore posé le pied, des aspects et des formes de paysage, dont on peut dire qu’ils étaient inconnus avant lui ». Le sentiment qu’il donne dans ses paysages est très différent de celui qu’on éprouve face aux paysages classiques ou néo-classiques, comme ceux de Poussin ou Valenciennes. Dans « Orphée et Eurydice » de 1650, Nicolas Poussin reconstruit son paysage à partir de différents croquis réels, comme celui du château St Ange. De même un siècle plus tard, Valenciennes ne peint pas un paysage réel dans « l’Ancienne Ville d’Agrigente », de 1787. Face à ces exemples, Courbet est un œil, comme le disait Ingres, et il se contente de voir, sans recomposer sa vision.
Cependant, dès le départ, il prend des libertés avec le site représenté.
Les conventions prônaient un illusionnisme en construisant une perspective par ajout de plans successifs, comme on pouvait encore le voir dans ses premiers paysages, comme « la vallée de la loue par temps d’orage » de 49.
Mais très vite, il choisit de grossir ou d’atténuer tel ou tel élément en fonction du retrait ou de la solitude qu’il veut le plus souvent suggérer, comme dans les différentes versions de la « source de la Loue ». Il n’hésite pas à utiliser un fond noir qui aplatit le tableau tout en donnant plus de présence à la masse pigmentaire. Le plus important pour lui semble en effet la présence que ces techniques révolutionnaires peuvent donner à la toile.
Pour autant, on peut se demander si Courbet s’intéresse au sublime défini par Kant ou Burke à la fin du XVIIIe siècle. Dans le sublime, il y a toujours quelque chose qui suggère l’illimité. Et les émotions qu’ils nous donnent diffèrent. Le beau donne un plaisir calme, tranquille, alors que le plaisir du sublime est mêlé de douleur. Quand nous avons contemplé le sublime, il se produit en nous, selon Kant, une légère douleur, une sorte d’aspiration vers cet infini du sublime que l’esprit ne peut embrasser tout entier.
Dans « le bord de mer à Palavas » peint par Courbet en 1854, le personnage semble submergé par l’immensité de la nature, comme nous le montre le contraste entre l’horizon et la taille du personnage.
Mais contrairement aux œuvres de Caspar David Friedrich généralement analysée selon l’esthétique du sublime, comme « moine au bord de la mer », la matérialité du paysage insiste sur la présence du paysage. Le spectateur ne peut se perdre vraiment dans l’immensité face à une matière aussi présente. Comme le suggère le titre « marée basse, soleil couchant (immensité) » peint en 69, Courbet semble utiliser au contraire cette tension entre un paysage réaliste et une tentation de visionnaire.
Le paysage est omniprésent dans l’œuvre de Courbet et constitue sans doute le genre qui lui assura le plus grand succès auprès du public. On peut se demander sans doute s’il ne réussit pas à mettre véritablement en tension l’art du passé, classique et romantique avec une présence que le réalisme pouvait apporter pour la première fois dans l’histoire de l’art.
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