I. Rencontre de Bruyas. Rapprochement avec Proudhon
Bruyas est le collectionneur acheteur des « baigneuses » et de « la fileuse endormie » au salon de 1853. Courbet a besoin d’un soutien indépendant car après l’acquisition de « après dinée à Ornans », l’appui de l’état avait été perdu.
Courbet avait même rompu toute discussion avec le comte de Nieuwerkerke (intendant des Beaux-arts) lorsque celui-ci avait tenté d’assagir Courbet en échange d’une participation directe à l’exposition universelle de 1855. Pour ce faire, Nieuwerkerke lui imposait la présentation d’une esquisse et la soumission à l’approbation d’un jury d’artistes et autres personnes choisies par les deux parties.
« Je répondis immédiatement que je ne comprenais absolument rien à tout ce qu’il venait de me dire, d’abord parce qu’il affirmait qu’il était un Gouvernement et que je me sentais nullement compris dans ce Gouvernement, que moi aussi j’étais un Gouvernement et que je défiais le sien de faire quoi que ce soit pour le mien, que je puisse accepter.
Je continuai en lui disant que je considérais son Gouvernement comme un simple particulier, que lorsque mes tableaux lui plairaient, il était libre de me les acheter et que je luis demandais qu’une seule chose, c’est qu’il laisse l’art libre dans son exposition et qu’il ne soutienne pas avec un budget de 300 000 francs trois mille artistes contre moi.
Je continuai en lui disant que j’étais seul juge de ma peinture, que j’étais non seulement un peintre, mais encore un homme, que j’avais fait de la peinture, non pour faire de l’art pour l’art, mais bien pour conquérir ma liberté intellectuelle et que j’étais seul, de tous les artistes français mes contemporains, avais la puissance de rendre et de traduire d’un façon originale et ma personnalité et ma Société… » (p30)
Dans ces lignes, Courbet montre un antigouvernementalisme proche de l’anarchisme de Proudhon, tel que celui-ci l’expose alors dans son texte de 1840 « qu’est-ce que la propriété ? ». Dans ce texte, Proudhon soutient que, à mesure que la société avance, l’autorité des hommes sur leurs semblables diminue, il poursuit sa critique de toutes les formes de gouvernement, y compris les systèmes communistes qui concentrent l’autorité dans les mains de l’Etat, et donc dans lequel l’homme abdique alors toute sa souveraineté au profit d’une communauté. En 1851, dans « Idée générale de la révolution au XIXème siècle », après avoir décrit la révolution comme un lent processus qui devait mener à la dissolution de tout gouvernement, Proudhon conclue
« être gouverné, c’est être : gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé (…). » il décrit ce qui lui apparaît comme le fiasco démocratique : « la démocratie n’est autre chose que la tyrannie des majorités, tyrannie la plus exécrable de toutes »
« L’homme ne veut pas qu’on l’organise, qu’on le mécanise. Sa tendance est à la désorganisation (…), partout où il sent le poids d’un fatalisme ou d’un machinisme. Telle est l’œuvre, la fonction de la liberté (…) »
Proudhon rêve d’une organisation mutualiste de la société : « la société doit être considérée, non comme une hiérarchie de fonctions et de facultés, mais comme un système d’équilibrations entre forces libres (…). Ils disent donc que l’Etat n’est autre chose que la résultante de l’union librement formée entre sujets égaux, indépendants, et tous justiciers ». C’est pour ces considérations, que Courbet refuse l’offre de Nieuwerkerke : il aspire à être aussi souverain que l’état.
Ainsi, doit-on comprendre l’appellation de « maître-peintre » donnée par Bruyas à Courbet. Bruyas ne l’appelle pas « artiste » comme les romantique avait mis le terme à la mode. Ce terme était fortement spiritualisé… à l’inverse « maître-peintre » insiste sur la part d’artisanat sur le statut d’individu-ouvrier.
En 1854, Courbet commémore sa rencontre avec Bruyas dans « la Rencontre».
L’œuvre reprend le motif familier de l’imagerie populaire du « bourgeois parlant au juif errant », où le proscrit est incarné par l’artiste, et le bourgeois par Bruyas et son domestique. Ahasverus, le juif condamné à errer sans repos pour avoir accablé de mépris le Christ qui gravissait le Calvaire, est donc le dernier témoin de la crucifixion… c’est le seul véritable témoin de son temps !
Bruyas voyait dans l’art un moyen : il attend de l’art un enseignement moral, qui sera possible dans le réalisme, dans la représentation sincère du naturel et du vrai, par opposition à l’application de formules académiques. C’est pour cette raison qu’il acheta « les Baigneuses » dès qu’il vit la toile au salon de 1853, malgré la laideur qu’il y perçut : comme Théophile Gautier qui est surpris par l’opposition entre le geste presque académique et le sourire idiot, Bruyas y voit une affirmation de la liberté de Courbet par rapport aux formes classiques et académiques.
II. Fin du spiritualisme . Valeur du travail selon Prudhon
Courbet a beaucoup admiré Proudhon, de même que beaucoup de philosophes du XIX° comme Bakounine ou Marx. Marx l’a renié plus tard, sans doute pour ne pas avouer l’antériorité de certaines thèses que l’on retrouvera chez lui, comme le fait que le travailleur devait conserver un droit naturel de propriété sur les choses qu’il a produites, même après avoir reçu un salaire.
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Proudhon a une conception de la propriété.
(Ragon p236)
Dans « qu’est-ce que la propriété », il écrit « la propriété, c’est le vol », auquel on réduit souvent sa pensée.
Mais il veut pourtant préserver la propriété individuelle :
« où trouver une puissance capable de contrebalancer cette puissance formidable de l’Etat ? il n’y en a pas d’autre que la propriété [pour] assurer la liberté individuelle… là où manque la propriété, il y a despotisme dans le gouvernement. »
2. Proudhon a une conception nouvelle du travail.
« le travail est le premier attribut, le caractère essentiel de l’homme.
L’homme est travailleur, cad créateur et poète : il émet des idées et des signes, tout en refaisant la nature, il produit de son fond, il vit de sa substance : c’est ce que signifie la phrase populaire vivre de son travail…
L’homme, rival de Dieu, aussi bien que Dieu, mais autrement que Dieu, travaille ; il parle, il chante, il écrit, il raconte, il calcule, fait des plans et les exécute, se taille et se peint des images, célèbre les actes mémorables de son existence… provoque sa pensée par la religion, la philosophie et l’art. Pour subsister, il met en œuvre toute la nature ; il se l’approprie et se l’assimile »
(Rubin p.53)
Proudhon écrit
« L’homme seul travaille, parce que seul il conçoit son travail. (…) le travail est l’émission de l’esprit. Travailler, c’est dépenser sa vie, travailler, en un mot, c’est se dévouer, c’est mourir »
Proudhon conçoit le travail comme la confrontation entre le subjectif et l’objectif du monde. Par le travail, l’homme pénètre la nature de son moi et se l’approprie. Il entend ainsi mettre fin à la conception du travail du à la chute de l’homme. L’homme n’est pas condamné au travail. Le travail est au contraire ce qui lui permet d’atteindre une satisfaction matérielle (Rubin p.54).
3. Proudhon face l’Empire
(Ragon p236)
Contre tout dogmatisme, il écrit au jeune Marx :
« après avoir démoli tous les dogmatisme à priori, ne songeons point, à notre tour, à endoctriner le peuple. Ne nous posons point à notre tour à endoctriner le peuple. Ne nous posons pas en apôtre d’une nouvelle religion, fût-elle la religion de la raison »
Il ne veut pas s’appuyer sur le progrès économique avant de mener vers un progrès moral. Les deux doivent être simultanés. Cette pensée ne peut être acceptée par le second empire qui assoie sa force sur l’essor du monde industriel.
Proudhon lance le « représentant du peuple » le 1er avril 48, interdit pour sa violence. Devant de nouvelles poursuites, il le remplace par « le peuple », puis par « la voix du peuple ». il est élu député le 8 juin 48. Ses articles contre le prince-président mènent à sa condamnation à 3 ans de prison et 3000F.
4. Proudhon, Courbet et l’art
L’essai principal de Proudhon sur l’art est « du principe de l’art et de sa destination sociale »
Courbet incarne le mieux la mission éducative de l’art. il écrit à propos des « paysans de Flagey »
« Ici nulle pose, nulle flatterie, pas le plus léger soupçon d’une figure idéale. Tout est vrai, saisi sur nature : non que je veuille dire que les figures soient des portraits, mais elles sont telles que vous croyez les avoir rencontrées partout ; la scène enfin, dans son ensemble et ses détails, est d’une vérité, d’une naïveté telle que vous êtes tenté d’accuser le peintre d’avoir totalement manqué d’invention et de vous avoir donné un daguerréotype pour une œuvre d’art. Mais arrêtez-vous un instant sur ce réalisme aux apparences vulgaires, et vous sentirez bientôt que sous cette vulgarité se cache une profondeur d’observation qui est, selon moi, le vrai point de l’art. »
Courbet partage cette vision positiviste de l’homme qui conçoit la mort non comme une libération mais comme une fin. Reconnaître dans le travail un moyen pour survivre, c’est aussi le reconnaître mortel, comme il l’affirme dans « un enterrement à Ornans » (48-50). Proudhon écrit « Dieu, c’est le mal »pour souligner que, en persuadant l’homme de l’existence de forces éternelles et universelles hors de sa portée, la religion le privait de possibilité d’auto-accomplissement, donc de liberté. Il rejette tout principe autoritaire, religieux, monarchique, mais aussi démocratique (car le citoyen abdique sa liberté au profit d’un corps élu).
« Courbet s’est montré dans le tableau de l’enterrement aussi profond moraliste que profond artiste : il vous a donné la vérité sanglante, impitoyable : en révoltant en vous l’idéal, il vous rappelle à votre dignité »
Et pour les « casseurs de pierres » :
« Un critique d’une école qui n’est pas la nôtre a dit des casseurs de pierres que ce tableau était « en son genre un chef-d’œuvre ». J’accepte ce jugement. Le genre auquel appartiennent les casseurs de pierres est aujourd’hui le genre le plus élevé, le seul admissible… des paysans qui avaient eu l’occasion de voir le tableau de Courbet auraient voulu l’avoir pour le placer, devinez où ? Sur le maître autel de leur église. Les casseurs de Pierres valent une parabole de l’Evangile ; c’est de la morale en action. »
Michel Ragon (p251) poursuit « cette « morale en action », Proudhon l’avait déjà définie en 1853 dans la philosophie du progrès :
« que le peuple, se reconnaissant à sa misère, apprenne à rougir de sa lâcheté et à détester les tyrans : que l’aristocratie, exposée dans sa grasse et obscène nudité, reçoive sur chacun de ses muscles la flagellation de son parasitisme, de son insolence et de ses corruptions. Que le magistrat, le militaire, le marchand, le paysan, que toutes les conditions de la société, se voyant tour à tour dans l’idéalisme de leur dignité, et de leur bassesse, apprennent par la gloire et par la honte à rectifier leurs idées, à corriger leurs mœurs, et à perfectionner leur institution. Et que chaque génération, déposant ainsi sur la toile et le marbre le secret de son génie, arrive à la postérité sans autre blâme ni apologie que les œuvres de ses artistes.
C’est ainsi que l’art doit participer au mouvement de la société, le provoquez et le suivre. »
Dans l’ « Atelier »(55), Courbet représente l’acte de production, en mettant en scène l’acte de production avec tous les accessoires nécessaires. On y est frappé par le caractère lisse et traditionnel des figures présentes dans l’atelier, sauf la femme nue et le paysage, traités comme les dernières peintures de Courbet. Ce qui était devenu le trait caractéristique de son travail dans les dernières années disparaît ici sauf dans le paysage peint au centre, dans l’œuvre mise en scène. Delacroix a dit même que ce paysage semblait le plus « vrai » de la peinture. Cela entre en contraste avec la figure d’un peintre romantique telle qu’elle était alors de mise dans les milieux artistiques. Courbet montre au centre de l’atelier, un homme qui, par la maitrise de son travail affirme sa liberté, reprenant ainsi l’idée chère à Proudhon. La critique de 1855 ne s’y trompe pas lorsqu’elle représente les deux hommes travaillant côte à côte sur une grande toile.
Courbet met en pratique la théorie de Proudhon (dans la « philosophie de la misère »:
L’homme n’a fiat rien selon la nature : c’est, si j’ose m’exprimer de la sorte, un animal façonnier. Rien ne lui plaît s’il n’y apporte de l’apprêt … Pour le plaisir de ses yeux, il invente peinture, architecture, les arts plastiques dont il ne saurait dire la raison et l’utilité, sinon que c’est pour lui un besoin d’imagination, que cela lui plaît. Pour ses oreilles, il châtie son langage, compte ses syllabes, mesure les temps de sa voix. Puis il invente la mélodie et l’accord, il assemble des orchestres (…). Il a une méthode de se coucher, de se lever, de s’asseoir, de se vêtir, de se battre, de se gouverner, de se faire justice ; il a trouvé même la perfection de l’horrible, le sublime du ridicule, l’idéal du laid. Enfin, il se salue, il se témoigne du respect, il a pour sa personne un culte minutieux, il s’adore comme une divinité. »
III. L’Atelier du peintre comme représentation du monde
Géricault dans « un artiste dans son atelier » (18-19) ou Delacroix dans « Michel-Ange dans son atelier » (53) avaient représenté l’artiste dans un état idéalisé de rêve, comme Courbet l’avait fait dans « l’homme à la ceinture de cuir » en 48-49.
Dans « l’atelier », Courbet représente l’artiste non dans un état de rêverie, mais de travail. Le tableau porte aussi le sous-titre « allégorie réelle déterminant une phase de 7 années de ma vie artistique »: il s’agit du regard porté par un peintre réaliste sur son époque.
Il décrit son travail à Champfleury :
« [l’Atelier est]peut-être plus grand que l’Enterrement , de qui fera voir que je ne suis pas encore mort, et le réalisme non plus, puisque réalisme il y a. C’est l’histoire morale et physique de mon atelier, première partie, ce sont les gens qui me servent, me soutiennent dans mon idée, qui participent à mon action. Ce sont les gens qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C’est la société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot c’est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi. Vous voyez ce tableau est sans titre. Je vais tâcher de vous en donner une idée plus exacte en vous le décrivant sèchement. La scène se passe dans mon atelier à Paris. Le tableau est divisé en deux parties. Je suis au milieu peignant. A droite, tous les actionnaires, c’est-à-dire les amis, les travailleurs, les amateurs du monde de l’art. A gauche, l’autre monte de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort. (…) je vais vous énumérer les personnages en commençant pat l’extrême gauche. Au bord de la toile se trouve un Juif que j’ai vu en Angleterre traversant l’activité fébrile des rues de Londres en portant religieusement une cassette sur son bras droit et la couvrant de la main gauche il semblait dire « c’est moi qui tiens le bon bout ». (…) Derrière lui est un curé d’une figure triomphante avec une trogne rouge. Devant eux est un pauvre vieux tout grelu, un ancien républicain de 93 (…), un homme de 90 ans, une besace à la main, vêtu de la vieille toile blanche rapiécée, chapeau brancard, il regarde à ses pieds des défroques romantiques (il fait pitié au juif). Ensuite un chasseur, un faucheur, un Hercule, une queue-rouge, une marchand d’habits-galons, une femme d’ouvrier, un ouvrier, un croque-mort, une tête de mort dans un journal, une Irlandaise allaitant un enfant, un mannequin. L’irlandaise est en un produit anglais. J’ai rencontré cette femme dans une rue de Londres, elle avait pour tout vêtement un chapeau en paille noire, un châle noir effrangé sous lequel elle portait un enfant nu sous le bras. Le marchand préside à tout cela, il déploie ses oripeaux, à tout ce monde qui prête la plus grande attention, chacun à sa manière. Derrière lui est une guitare, un chapeau à plus au premier plan.
Seconde partie. Puis vient la toile sur mon chevalet, et moi peignant avec le côté assyrien de la tête. Derrière ma chaise est un modèle de femme nue. Elle est appuyée sur le dossier de ma chaise me regardant peindre un instant : ses habits sont à terre en avant du tableau, puis un chat blanc près de ma chaise. A la suite de cette femme vient Promayet avec son violon (…). Par derrière lui est Bruyas, Cuenot, Proudhon (je voudrais bien aussi avoir le philosophe Proudhon qui est de notre manière de voir, s’il voulait poser, j’en serais content. Si vous le voyez demandez-lui si je puis compter sur lui). Puis vient votre tour en avant du tableau. Vous êtes assis sur un tabouret, les jambes croisées et un chapeau sur vos genoux. A côté de vous, plus au premier plan encore est une femme du monde avec son mari, habillée en grand luxe. Puis à l’extrême droite, assis sur une table d’une jambe seulement est Baudelaire qui lit dans un grand livre »
Ce texte essentiel peut être complété par une lettre de 54 à Bruyas :
« J’intitulerai cela : première série, car j’espère faire passer la société dans mon atelier, faire connaître et aimer mes propensions et mes répulsions »
En effet, Courbet veut analyser ici la société, et rendre visible sa réflexion :
- à gauche le monde que rejette Proudhon, ceux qui vivent de la mort. Il y représente le monde déjà visible de ce que produisent l’industrialisation et l’urbanisation en Angleterre. Le juif incarne le monde de la finance et le prêtre incarne la bourgeoisie catholique traditionnelle. Le républicain de 93 représente un âge révolu du républicanisme révolutionnaire et le croque mort personnifie ceux qui vivent de la mort des autre, de sa spiritualisation, de la romantisation de l’idéologie romantique. Le chasseur au premier plan serait un braconnier et il serait un portrait de Louis Napoléon, pour symboliser le jeu de dupe politiques associé au coup d’état et à l’instauration du second empire. Les quatre personnages de l’arrière plan seraient Garibaldi, Lajos Kossuth, Thaddeus Kosciuszko et Bakounine, les trois premiers étant des représentants de l’insurrection italienne et Bakounine l’anarchiste russe, proche de Proudhon par la philosophie, mais prônant l’insurrection que Proudhon réprouve. Proudhon s’oppose aux mouvements nationalistes qui, selon lui, ne peuvent que semer la discorde et permettre ainsi aux forces réactionnaires de dominer (Rubin p69). Ces nationalismes n’est pour lui qu’un principe autoritaire de plus auquel ‘individu est confronté.
- A droite, Courbet montre ceux qui s’attaquent au désarroi peint à gauche. Ils les appellent les « actionnaires », d’un terme économique à nouveau, comme si tous étaient investis dans une entreprise commune.
Champfleury fut de plus en plus opposé à la politisation de Courbet. Mais il aiguisa auparavant la sensibilité du peintre pour l’art populaire et les Le Nain. Comme eux, il refusa la composition classique et recherche un art réaliste spontané et populaire. Champfleury aimait comparer l’art populaire à l’art des enfants, comme celui représenté aux pieds de Courbet. En cela, il reprend le thème de l’enfant de « la petite tombe » de Rembrandt, dans lequel un enfant tourne délibérément le dos au Christ pou montrer son indifférence ou son désintérêt envers sa doctrine… mais ici, l’enfant prend une connotation antiautoritaire. Selon la recommandation de Proudhon, le garçon étudie directement la nature, sans intermédiaire.
L’Atelier est historique et moral (Rubin p84).
Courbet y fait allusion au développement humain, et la position de l’artiste au centre de la peinture montre la valeur morale de l’art. Contre le rôle visionnaire de l’artiste, Courbet s’affirme ouvrier-artiste… et divise son tableaux entre les romantiques à gauche et les réalistes à droite, comme si il les renvoyait dos à dos. « je ne veux pas des retours au passé, des prétendus résurrections, des tableaux peints suivant uin idéal formé de morceaux d’idéal qu’on a ramassé dans tous les temps. Je ne veux pas de tout ce qui est point vie, tempérament, réalité! » écrit Zola en 1866 et cela semble correspondre à la vision de Courbet.
On peut noter cependant que la vision de Proudhon et de Courbet néglige le réel problème qui apparaît alors, celui de la prolétarisation et de la division du travail, qui sera central chez Marx. Proudhon pense la spécialisation du travail moderne comme quelque chose qui apporterait les satisfactions de l’artisanat, ce qui est irréaliste.
IV. Baudelaire et le présent
À la fin des années 40, Courbet est proche de Baudelaire et Champfleury.
Il s’agit du Baudelaire du « salon de 1846 », dans lequel celui-ci attend un peintre inséré dans le monde moderne, mais aussi dans lequel il définit un art romantique qui permet de dépasser la réalité quotidienne, et offre un refuge au fantasme plus parfait de l’idéal.
B. rencontre Guys juste après avoir rédigé son Salon de 1859, et lui achète des dessins destinés à paraître dans un journal de Londres : il est fasciné par les sujets tirés de la vie urbaine, et par la technique de Guys, « dépourvue de curiosité ». Ces dessins sont faits rapidement.
Autorités forçant le château d’Eu. Constantin Guys (1802-1892) Autorités forçant le château d’Eu. Constantin Guys (1802-1892)
Beaucoup de dessins n’étaient même pas signés. Il faut souligner
- La ville et la vie triomphent sur l’art et son éternité. Baudelaire se conforme au souhait de Guys de parler d’un chroniqueur anonyme : cela s’oppose au « génie ».
- Le moderne triomphe du classique : il n’y a plus d’idéal. On peut capturer la vie
- C’est pour cela que Baudelaire s’enthousiasme pour la mode. Il n’y a plus d’idéal intemporel :
« dans la nature (…) je ne vois que des individus. L’idéal n’est donc pas (…) ce rêve ennuyeux flottant sur les plafonds des académies. Un idéal est en réalité un individu, tel que reconstruit par l’artiste. »(Salon de 1846)
Baudelaire refuse l’idée d’une « beauté absolue » et défend une « beauté moderne » :
Dans le chapitre « de l’héroïsme de la vie moderne », il écrit « on peut affirmer que puisque tous les siècles et tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre ».
- Dans « le peintre de la vie moderne », Baudelaire parle encore de Guys :
« que cherche-t-il ? il cherche quelque chose qu’on me permettra de nommer la « modernité »
Baudelaire montre le paradoxe du peintre moderne qui doit être dans son temps fuyant, et saisir quelque chose qui lui échappe :
« en bref, si la modernité est digne de devenir antiquité, nous devons en extraire la beauté mystérieuse que lui confère la vie humaine »
Dans son compte rendu de l’exposition universelle de 1855, il dénonce en effet le progrès : c’est une « erreur à la mode ». Il parle aussi de « l’art de la mémoire ». l’art a pour tâche de capturer l’instant et de le transformer en mémoire. Le problème auquel est confronté Baudelaire est
- de défendre à la fois la modernité, comme celle de Guys
- de défendre le tableau, le musée comme mémoire.
L’artiste Baudelairien est coincé de façon instable entre ce présent et l’aura du musée. Il ne peur chercher l’art intemporel du musée s’il veut être dans le présent, mais ne peut faire « œuvre » s’il ne se détache pas du présent.
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