Giorgio de Chirico

Giorgio de Chirico. La peinture métaphisique. éd. Hazan

Le monotype

Ce catalogue s’ouvre sur un texte capital de Cécile Debray, directrice du musée de l’Orangerie. Dès ses premières pages, la conservatrice pose les problèmes soulevés de puis de nombreuses années par la œuvres de ce peintre.
En effet, Giorgio de Chirico est à l’origine d’une véritable révélation. Breton et quelques autres ont véritablement découvert la peinture en voyant « le cerveau de l’enfant (le revenant) » en 1914, peinture conservée à Stockholm qui ouvre aujourd’hui l’exposition. Cécile Debray cite le célèbre texte du peintre qui définit la peinture métaphysique en 1919 : « Tout objet a deux apparences, celle de tous les jours que nous voyons presque toujours et qui est celle que voient les gens en général, et celle, spectrale ou métaphysique, que ne perçoivent que de rares individus dans des moments de clairvoyance et d’abstraction métaphysique, comme c’est la cas pour certains corps solides que le soleil ne peut pénétrer, mais que l’on peut voir grâce, par exemple, aux rayons X ou à d’autres moyens puissants et artificiels. » L’auteur insiste de façon très claire pour définir l’essentiel de son art : comme pour Rimbaud que Giorgio découvre dès 1912 à Paris, le peintre est « voyant ». Dans « le surréalisme et la peinture, Breton lui laisse la parole : « Ce qu’il faut surtout, c’est débarrasser l’art de tout ce qu’il contient de connu jusqu’à présent, tout sujet, toute idée, toute pensée, tout symbole doit être mis de côté (…) ce qu’il faut surtout c’est une grande certitude de soi-même ; il faut que la révélation que nous avons d’une œuvre d’art, que la conception d’un tableau reprenant telle chose, qui n’a pas de sens par elle-même, qui n’a pas de sujet, qui du point de vue de la logique humaine ne veut rien dire du tout, il faut, dis-je, qu’une telle révélation ou conception soit tellement forte en nous qu’elle nous procure une telle joie ou une telle douleur que nous soyons obligés de peindre, poussé par une force plus grande que celle qui pousse un affamé à mordre comme une bête le morceau de pain qui tombe sous sa main. » Le commissariat de l’exposition a été confié à Paolo Baldacci, qui replace le peintre et son histoire familiale au sein d’une Europe bientôt en crise. Cet historien a réuni de multiples sources au sein de l’Archivio dell’Arte Metafisica à Turin depuis de plusieurs années. Il se fonde sur ces sources pour nous donner une image plus claire de la formation du l’art métaphysique. « dès leur enfance, en présence des paysages naturels grecs immanquablement liés à tel ou tel récit mythologique, Giorgio et Alberto [son frère] se sont tous deux peu à peu convaincus que le surnaturel, l’esprit et le mystère ne se situent pas au-delà de la Terre et du monde visible, mais à l’intérieur de la matière dont sont faires les choses terrestres. » La lecture de Schopenhauer et de Nietzsche en 1909-1910 pousse alors les deux frères à remettre toute vérité en question et notamment la valeur sémantique des signes. La suite de cette analyse permet de revoir et préciser l’identité civile et culturelle des deux frères. Giorgio a souvent insisté sur sa nationalité italienne et sur l’importance des places italiennes dans sa peinture. On découvre ici que les choses sont plus complexes. A son arrivée à Paris en 1911, Giorgio n’a passé que quelques mois en Italie, avant de quitter rapidement Florence pour ne pas y effectuer son service militaire. Turin, où avait été rédigée la fin de l’œuvre de Nietzsche juste avant qu’il ne sombre dans la folie, avait une place toute particulière dans son imaginaire. Ses « prétendues « places d’Italie » datent en réalité des années 1930 et furent presque toutes antidatées, afin de satisfaire un marché intérieur italien bouffi de nationalisme et fier d’un artiste dont la peinture remontant aux années 1910 obtenait alors en Amérique un succès colossal. Les dernières pages de son analyse continuent à dé construire maintes approximations accumulées au cours des dernières décennies. On pourra notamment y trouver quelques précisions sur les positions adoptées par le peintre face à la montée du fascisme et à face à la position adoptée par les futuristes. Le texte de Annabelle Görgen-Lammers, conservatrice au musée de Hamburg qui accueillera l’exposition début 2021 est consacré d’abord à l’influence de la philosophie allemande sur Giorgio. L’historienne nous décrit la scène allemande dans laquelle s’immerge Giorgio de Chirico en 1900 comme « imprégnée de la pensée nietzschéenne ». Il ne le lira réellement qu’à la fin de la décennie, mais dès le départ, il ne peut échapper à cette influence omniprésente. Aux yeux du peintre, Nietzsche est le « poète le plus profond » du moment. De plus, cette importance s’ajoute à celle de deux peintres qui l’aident à se libérer de l’académisme de ses débuts : « c’étaient surtout Max Klinger et Böcklin qui me fascinaient ; je pensais à ces compositions profondément ressenties, qui évoquaient une Stimmung tout à fait particulière, qu’on reconnait entre mille ». D’habitude, Stimmung est traduit comme « un état d’âme particulier », une sorte de « résonance dans l’âme d’un individu », mais le peintre précise : « j’emploie à dessin ce mot allemand, extrêmement pertinent, qui pourrait être traduit en italien par atmosfera in senso morale ». Ailleurs il ajoute « mes tableaux sont petits (…) mais chacun d’eux est une énigme, chacun comporte une poèsie, une Stimmung, une promesse. » Pour Böcklin, considéré alors comme le plus grand peintre allemand vivant, le fait est avéré depuis longtemps. Mais l’historienne montre ici que Klinger aussi s’intéressait à cette nouvelle atmosphère. « Klinger d’était intéressé au phénomène du rêve et avait crée au moyen de nouvelles stratégies – des changements d’espace, d’échelle et de perspective de l’action, par exemple – des œuvres qui donnèrent à Chirico de multiples idées pour ses propres compositions ». « énigme de l’oracle » de 1909, est un tableau particulièrement éclairant à ce sujet : Chirico reprend un composition célèbre « Ulysse et Calypso » où Böcklin suggérait l’espace extérieur par Le regard d’Ulysse perdu dans le lointain. Mais Chirico coupe l’espace en deux comme souvent chez Klinger. De plus, il introduit le mur, un motif qui sera récurrent dans ses œuvres ultérieures. Chirico écrit à propos de « prommeneur (l’attaque) » de Klinger combien « le mur semble marquer les limites du monde ».

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