L’autobiographie et la fiction

 sherman1. L’autobiographie pose la question de sa vérité.

 

  • Philippe Lejeune  a lancé naguère son célèbre  » pacte autobiographique «  : l’auteur s’engagerait à la  » sincérité  » … mais cela est littéralement impossible. (cf. Lejeune, Philippe, Le Pacte autobiographique, Seuil, Paris, 1975). L’autobiographie n’est au contraire intéressante que lorsqu’elle exprime ce qui est vrai dans l’instant où elle est rédigée ou lorsqu’elle devient le sujet d’une œuvre d’art.

 » Non pas tel que j’étais, mais tel que je suis, tel que je suis encore  »

Saint Augustin, Confessions.

  • Elle peut être fausse d’abord à cause de l’altération de notre mémoire. La psychanalyse a tenté de rationaliser les processus qui gomment des pans entiers de notre mémoire. La perception des choses, forcément fragmentaire au départ, voyage avec soi au long des années, se modifie, évolue au gré des aléas de la vie. Le souvenir qu’on en garde n’a plus rien du réel qui l’a engendré. Ce qu’on croit avoir été aujourd’hui est différent de ce qu’on en croyait hier et aussi de ce qu’on en croira demain. Il n’y a pas d’objectivité en ce domaine.
  • L’art utilisé pour fixer l’autobiographie engendre une autre déformation, due à la technique utilisée.
  • Les autobiographes s’observent et s’ouvrent à l’observation du spectateur, un peu comme dans l’expérience du miroir. Selon Jacques Lacan, ce stade joue un rôle important dans la formation du Je : « Se regarder dans un miroir, tout comme être regardé en public, est une façon de constituer et d’individualiser le sujet. »

Lacan explique que le stade du miroir permet de se définir par « l’extériorisation de l’image du moi » La formation de l’identité est le résultat d’un processus consécutif : à tel moment, je suis sujet, à tel autre, objet.

De même l’autobiographie permet de se voir comme quelqu’un d’autre. L’écriture ou l’art permet à l’artiste de sonder sa propre personnalité

2. Exemples anciens

Dans le « portrait arnolfini », Jan Van Eyck met en place un dispositif : le peintre ne représente pas seulement les époux, mais lui-même regardant ses commanditaires. C’est le même dispositif que Velasquez reprendra au XVII° dans « les ménines », comme Michel Foucault l’a montré au début de « les mots et les choses »

Rembrandt et Van Gogh

Ces deux peintres n’ont cessé de chercher à percer leur propre image. On peut observer la variation de leur propre image, de leur individualité

Kirchner

Dans « l’autoportrait à la main coupée », Kirchner cherche à mettre à jour le traumatisme vécu pendant la première guerre.

Rockwell

3. Autoportraits contemporains

Warhol : Self Portrait with a Fright Wig (1986)

Warhol s’est voulu une pure surface, modelable à volonté, sans aucune individualité : Il a délibérément gommé son identité, son histoire. Il s’est prêté à diverses projections, les a laissées s’imprimer sur sa personne, le façonner.

La photo de la série « Fright Wig » est un polaroïd, technique la plus impersonnelle de la photographie : Andy Warhol dit aborder l’image de façon mécanique.

Koons

Il incarne l’artiste à succès et ne cesse  de développer cette image très avantageuse pour lui en termes publicitaires et financiers : ses autoportraits sont donc conçus  pour promouvoir une personnalité fabriquée sur mesure, comme une marque.

Son mariage avec une ancienne star du porno, Ilona Staller (alias La Cicciolina), a fait l’objet d’une large exploitation commerciale tandis que sa carrière artistique est présentée comme exemplaire. Ses apparitions publiques et ses interviews parfaitement orchestrées nourrissent l’intérêt du public pour sa vraie vie. Jeff Koons est devenu une marque, un produit parfait, pourvu d’une biographie appropriée.

 Cindy Sherman

Elle interprète elle-même les divers personnages et stéréotypes féminins dans ses « Untitled film stills ».

Ainsi,  elle masque son identité : Sherman insiste sur le fait qu’elle n’est pas le sujet de ses Untitled Film Stills, Elle s’utilise simplement comme matériau, comme dans un jeu de rôles, Toute biographie unique et cohérente est montrée comme impossible.

Boltanski

Dans ses oeuvres des années 1960 et 1970, Christian Boltanski a maintes fois entrepris de reconstruire sa vie, en y introduisant des éléments « étrangers » : il fabriquait des scènes autobiographiques, comme dans «  L’Album photographique » où de faux documents et photos d’amis ou d’inconnus « illustrent » le récit de sa propre vie.

On Kawara

Les date painting à partir de 66 parle de ce qu’il fait, de façon neutre et distancée.  Dans « I met, I read, I went », il classe les évènements par catégories, traçant ainsi les diverses trajectoires de sa vie et témoignant par là même de son existence. Il évite scrupuleusement tous les ajustements subjectifs que peuvent engendrer la prise de recul et l’interprétation.

Mary Kelly

Le « Post-Partum Document » de Mary Kelly prend la naissance de son bébé (évènement traditionnellement capital dans l’autobiographie féminine) comme point de départ d’un rapport comportant des données précises sur elle et son enfant. Comme les listes neutres de faits de On Kawara, les minutes de Kelly sur une époque cruciale de sa vie, sont ne traitent que des gestes répétitifs du quotidien. Cependant, Kelly commente ses notes par des observations personnelles. Elle permet ainsi au subjectif de s’introduire dans son oeuvre.

GehardRichter

La tension entre objectivité et subjectivité, entre sphères publique et privée, caractérise l’œuvre de Gerhard Richter intitulée « Atlas ». Élaboré au fil de nombreuses années, ce projet n’était au début qu’une collection de photos d’amateur et de coupures de journaux, reflets du monde extérieur, avant qu’il n’introduise des images rendant compte de faits importants de sa vie comme ses relations amoureuses et la naissance de son bébé. Cette juxtaposition d’événements autobiographiques et publics a pour effet d’inclure la marche du monde dans l’histoire intime et de donner aux problématiques privées une signification universelle.

Sophie Calle

Comme pour les photographies et textes apparemment authentiques de Sophie Calle, on ne sait jamais vraiment ce qui est « vrai » et ce qui est joué (donné à voir au visiteur ou à l’appareilphoto).

Rirkrit Tiravanija

Elle a grandi entre deux cultures : comme souvent dans ce cas, la connaissance des origines familiales et culturelles est un patchwork composé de  souvenirs, d’histoires racontées par les parents et les grands-parents, de brefs séjours, de films. ses oeuvres autobiographiques lui permettent de (re)construire son propre récit.

 Kentridge

Les tensions politiques en Afrique du Sud sont une toile de fond de toute son oeuvre et jettent un regard critique sur l’évolution de son pays.  La brutalité de l’homme à l’égard  de la nature et de ses semblables est une véritable métaphore de l’apartheid. Après son abolition, la quête d’un équilibre au sein de la nouvelle société et la lutte entre  la sphère individuelle et la sphère politique dominent ses oeuvres.

Nan Goldin

Elle photographie des amis et des connaissances dont beaucoup sont transsexuels, drag queens, ou travestis…. ceux ou celles qui ne peuvent ou ne veulent choisir une identité sexuelle. Les photographies de Goldin suivent ses amis dans leur vie et, ce faisant, reflètent la sienne et l’époque où elle a vécu parmi eux.

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