les expressions

La difficulté du travail de portrait tient à la grande précision qu’il requiert pour exprimer des sentiments.
Mais, comme on va le voir dans ces quelques exemples, les déformations que vous donnerez à vos visages sont utiles est nécessaires. Que ces déformations soient volontaires ou non, n’entre pas ici en ligne de compte. Quand vous les rencontrez sous votre plume, la question est de savoir si vous devez ou non les laisser, les corriger ou les effacer. Picasso recommandait à un débutant d’accentuer ses erreurs plutôt que de les effacer. En effet, elles nous disent plus que nos réussites sur ce que nous voudrions dire par nos dessins.

    1. les crises d’hystérie

    2. Une exposition passionnante organisée en 2018 par Jean Clair au MAHJ à Paris montrait combien la psychanalyse avait d’abord été fondée sur l’analyse des physionomies des malades. Freud a en effet été passionné par le travail de Charcot, qu’il est venu voir avant même de publier l’interprétation des rêves en 1899.


       
       
       
       
       
       
       
       
      En effet, les expressions qui transparaissaient sur les visages des malades de Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière créent un véritable vocabulaire. Les gestes et les grimaces des malades ont été répertoriées pour Charcot par Paul Richer, professeur d’anatomie de l’école des Beaux-arts de Paris. Richer, celui même qui a formé tous les artistes passés par l’école des beaux arts de Paris, est ainsi lié à toute l’histoire de la psychanalyse! cela en dit long sur l’utilisation de l’anatomie dans les arts, pour dire les sentiments.
       
       
      Une autre exposition de 2014 à la Salpêtrière montrait d’ailleurs les liens entre Charcot et les Beaux arts. Charcot en effet, hésita longtemps entre une carrière de médecin et d’artiste, et ne cesse de dessiner ses malades et des œuvres d’art où la démence apparaît. Son ouvrage Les Démoniaques dans l’art (vous pouvez le parcourir en cliquant dessus. 1887) recense de nombreux cas de démence représentés dans les œuvres d’art depuis le Ve siècle.


      Charcot montre par cette analyse que l’hystérie n’est pas une maladie du XIXème siècle comme on le croyait alors, mais se retrouve dans toute l’histoire de l’ art, dont les dessins de Signorelli et le Sodoma pour les fresques de monte Olivieto (1505 en Toscane) sont un bon exemple.
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
      La somptueuse transfiguration de Raphaël est un des meilleurs et plus célèbres exemples

    3. anatomie de la position de la tête

    4. Comme je le disais déjà dans le précédent cours sur le portrait, il faut considérer le corps comme un tout. La position de la tête par rapport au cou ou aux épaules (et à tout le reste du corps) est aussi importante que la tête elle-même. En véritable descendant de Paul Richer, Jean-François Debord, qui enseignait l’anatomie à l’ENsBA il y a quelques années, ne cessait de passer de l’étude des muscles précis à des vues plus globales ou même à des comparaisons prises dans l’histoire de l’art.
      Vous pouvez trouver aujourd’hui ses cours en ligne. Je vous renvoie ici à deux de ses cours qui se concentrent sur la tête et le cou.


      voici aussi quelques notes que j’avais prises lors de ces cours, et une photo où Duchenne de Boulogne met en évidence les muscles en action (auquel Jean-François Debord a consacré plusieurs études) .


       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
        

    5. les expressions de Charles Le Brun

    6. Charles Le Brun (1619-1690) est le premier peintre du roi Louis XIV, fondateur avec Philippe de Champaigne de l’Académie Royale de peintre et de sculpture crée en 1648. Dès 1649, Descartes avait publié – ce fut un énorme succès – les passions de l’âme, ce qui fut le point de départ de plusieurs publications, en particulier de Spinoza (EthiqueIII) et de Hume (traité de la nature humaine). Mais l’ouvrage de Charles Le Brun ne parut qu’après sa mort, en 1727, sous le titre de « les expressions des passions de l’âme »Je vous invite à le parcourir en cliquant dessus, mais voici quelques illustrations qui pourront nous servir d’exemples.

    7. recherche d’expressions


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      Je vous propose de partir de toutes ces remarques et de ces exemples pour rechercher des expressions à partir de quelques sculptures de Rodin, de Claudel et Carpeaux reproduites ci-dessous. Essayez de proposer des expressions différentes de celles qui sont déjà visibles sur ces sculptures.

       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
        
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
      Vous pouvez le faire sur des calques, comme vous avez pu le voir dans certains exemples de ce cours. Si vous n’avez pas de calque, vous pouvez scotcher une photo ou un dessin sur une vitre et dessiner sur une autre feuille, en transparence par dessus pour modifier les expressions. Montrez moi les différentes expressions que vous aurez tentées, en parallèle avec le dessin ou la photo d’origine, et en précisant l’expression que vous avez cherchée à obtenir.

       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
        
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       

       
       
       
       
        
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
        
       

       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
        
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
       
        
       
       
       
       
       
       
       

      Pour la technique, je vous conseille de rester encore sur des techniques sèches, crayon, sanguine ou pierre noire. Si vous avez du fusain, cela me semble indiqué, car le fusain permet de tenter rapidement de faire évoluer une expression, comme on peut le voir ci-dessus sur ces quelques fusains de Käte Kollwitz. si vous n’en avez pas, vous pouvez utiliser du charbon de bois de sureau ou de tout autre bois tendre.

      Contrairement à la pierre noire, vous pouvez utiliser ici l’estompe. Si vous n’en avez pas, prenez un petit chiffon, un mouchoir de papier. le mieux étant l’estompe (une sorte de crayon en papier qui permet de frotter la feuille pour « estomper le fusain » ou un peau de chamois. Il faut éviter la main qui a tendance à graisser la feuille et à s’étendre partout sur votre support. Il faut choisir une feuille avec un peu de grain, du papier Ingres comme dans l’autoportrait ci-dessus ou mieux, du velin d’arches. Le fusain se gomme avec de la gomme mie de pain, surtout sur ce dernier papier très fragile.

      Voici un rapide exemple de l’exercice difficile que je vous demande :
      un dessin au fusain, d’après le visage de Camille Claudel par Rodin… que j’ai ensuite recouvert d’un calque pour faire varier son doux visage, comme si elle se mettait en colère devant Rodin qui la repousse et l’abandonne… avant qu’elle ne se détourne et prenne le large, en se mettant de 3/4.

      Voilà ce à quoi je pensais : faire des visages au fusain, et les faire varier, comme cela est possible au fusain. A partir d’un de ces visages, souriants, coléreux, ou étonnés… tentez de faire varier son expression et de donner une orientation au spectateur par quelques mots.

après quelques études anatomiques, voici les premières têtes d’expression :


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
 
 
 

 Voici quelques-uns des dessins de têtes de caractère :

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ces têtes d’expression sont difficiles et Simone a bien raison de passer d’abord du temps avec les fabuleux cours de Debord auquels je vous renvoie tous. C’est un des principaux enseignements que j’ai reçu aux Beaux arts de Paris, à raison de deux cours par semaine, entrecoupés de séances en amphi, devant les modèles qu’on éclatait en retrouvant leur anatomie à partir de leur pose même (principe inverse du cours de Jean-François Debord).
Vous pouvez regarder dans le cours mis en ligne comment il dessine le crane et les membres à partir des lignes de construction que je vous avais conseillé d’utiliser dans le cours sur le portrait. Tout le cors est basé sur cette première construction. C’est sans doute ce qui fait encore défaut dans le premier dessin de Simone. Son deuxième essai lui fournit un catalogue d’expression qu’il faut à peu près connaître pour pouvoir faire varier nos expressions, ce que fait Simone sur son troisième dessin, à partir du « cri » de Rodin, qu’elle réussit à modifier de façon cohérente. La richesse des variations des valeurs reste suffisante, mais attention à ne pas trop faire réapparaître de contours qui figeraient le dessin.
Catherine réussit à créer ce qu’elle a définit dans le titre de chaque dessin.
Camille Claudel était particulièrement douce et jeune chez Rodin, mais semble étonnée ici. Cela est surtout rendu par la forme de la bouche. Attention néanmoins à ne pas trop la cerner. Comme nous l’avons vu dans le cours sur le portrait, la lèvre supérieure et l’inférieure, n’ont pas la même orientation dans l’espace, et ne peuvent donc être rendue de la même manière. Comme toujours, il ne faut jamais se répéter. Dans ce dessin, le contour gauche est différent de celui de droite, et de même pour les yeux. Cela accentue l’intérêt du dessin. Mais j’aurais fais de même pour la bouche : lèvre supérieure et inférieure à différencier. Dans l’expression de l’étonnement, telle qu’on peut l’étudier selon les dessins de Le Brun (cf. le cours), les yeux et les sourcils doivent se lever davantage vers le haut.
« le Cri » de Rodin s’est assagi chez Catherine : ici aussi, c’est principalement la bouche qui nous le montre. Attention à ce que cette expression se retrouve aussi dans le bas et le buste et les yeux qui peuvent retomber un peu plus. et attention aussi à ne pas trop cerner toujours avec le même contour : un contour fige toujours le dessin, à moins de le varier sans cesse.
Pour le buste de Carpeaux, je ferais les même remarques : attention à ne pas trop isoler les parties du visage. Il faut traiter le visage comme un tout. Le choix des techniques doit être cohérent sur l’ensemble du visage.


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Les progrès du dessin de Simone, qui approfondit le travail d’après les éléments mis en ligne, planches anatomiques et dessin de Le Brun, sont importants et devraient stimuler tout le monde. Les caractéristiques des expressions sont comprises et bien utilisées dans ces deux dessins. J’ai l’impression que le principal problème qui bloque cependant ce dessin est l’usage premier du contour. Comme le dit Delacroix dans son « dictionnaire des Beaux arts » (éd. Hermann), « le contour doit venir en dernier, éventuellement » : en effet, il n’existe pas dans la nature. Le contour n’est qu’une abstraction qui simplifie notre vision. Il faut lui faire davantage confiance et voir par valeur et tonalité (couleur) d’abord. La simplification ne peut venir qu’après l’analyse. Sinon, comme chez Simone, le contour bloque le regard. S’il te paraît indispensable, fais-le sur un brouillon, pour te rassurer et t’exercer, puis vas-y directement. De plus, attention à l’emplacement des ombres. Dans le cou par exemple, choisis un éclairage latéral, donc la concentration des ombres soit à droite soit à gauche, pas des deux côtés. Cela doit être de même pour tout le visage. Le dessin ci-dessous montre une bonne prise en compte de ces remarques : le dessin est plus cohérent que la première version et attire notre regard sur ses réussites.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
  
  

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Les dessins de Catherine à la pierre noire sont extraordinaires d’expressivité. Entre la première version d’après la sculpture de Rodin et sa colère, Catherine a durci le trait. Les contours sont davantage marqués, mais ou voit bien qu’ils ont été faits après les dégradés sur la joue par exemple, ou dans le regard.De même dans son deuxième dessin sur son chagrin. On sent déjà que la folie risque de l’emporter à la noirceur du trait que Catherine ose forcer encore. Comme je le disais à propos de son récent dessin sur Donatello, j’aimerais vraiment voir ce que ces exercices donneraient ensuite, En poussant encore un peu l’expression vers où irait son dessin, sa réflexion (je ne parle plus de Camille et Rodin, mais de celle de Catherine)? son dessin m’évoque pour ma part les dessins incroyables de Arnulf Rainer… mais aussi très inquiétants!



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ces quatre dessins sont superbes, faits à partir des expressions de Käte Kollwitz.
Peut-être les contrastes des contours de la main de Marie-Noêlle sont-ils un peu forts? Ils questionnent, comme si le doigt levé par rapport à la pose originelle faisait sens. Mais je n’arrive pas à comprendre le sourire avec cette main plus inquiétante?
Ce jeu de renvoi entre l’expression et la main me semble plus cohérent dans l’ »amusement » du dessin de Mercedes. Mais à nouveau, je comprends moins bien les contrastes des lignes de son « admiration » : la bouche me semble sortir du dessin, mais peu-être souligne-t-elle bien l’étonnement des yeux.

En tous les cas, ces derniers dessins et ceux de Catherine vus plus haut, témoignent de votre jeux avec ces expressions. l’accent mis sur telle ou telle partie, et le parallèle ou la confrontation avec d’autres éléments du dessin font sens. C’est vraiment le but de ce cours : montrer combien ces variations posent des questions au spectateur. La régularité d’un visage n’est pas le but. La confrontation, ou les contradictions sont ce qu’il faut rechercher. Une fois trouvées, l’artiste créateur choisit de les laisser ou de les effacer, ou de jeter le dessin…. ou de le proposer aux regards de nous tous.
Ici commence la création.

Pour ceux qui ne se sentent pas de taille à oser ce jeu infini, je propose un intermédiaire plus facile : fin XVIIIème Messerchmidt s’est essayé à ce jeu infini de création. A notre tour, de jouer avec ses expressions?




 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Je suis frappé par les différences de traitement entre ces trois dessinatrices, mais toutes les trois réussissent aussi à bien faire varier les expressions des visages. Danielle devrait sans doute plus concentrer notre regard vers les dégradés autour des yeux et de la bouche : les contours marqués attirent notre attention vers ce qui ne fait pas sens dans son dessin. Un trait plus léger aurait dit la coiffe sans nuire aux expressions. Les dessins de Béatrices sont très légers. Cela pourrait exprimer une fragilité du modèle. Mais pour ces visages en colère – comme si le dessinateur était un acteur – il faut qu’il ressente lui même la colère. Cette nécessaire adéquation entre le style et le sens à donner au dessin, me semble justement être bien sentie par Mercedes notamment pour son deuxième dessin. La hachure diagonale ascendante, comme un jaillissement, exprimer toute à fait la soudaineté de cette surprise. De même que les deux autres visages sont enfermés dans une hachure concentrique qui l’isole, comme si le modèle s’enfermait en lui-même.


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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