Klee et la couleur

En 1914, Paul Klee entreprend un voyage en Tunisie avec Louis Moillet et Macke.

Macke est un artiste proche de Kandinsky et F. Marc. Il est considéré comme un des principaux artistes du Blaue Reiter : entre 1911 et 1912, Kandinsky et Marc y affirment l’autonomie de l’œuvre d’art par rapport au réel. Ce qu’il faut, selon eux, c’est se rapprocher de ce que Kandinsky définit dans « du spirituel dans l’art » en 1912, comme la « nécessité intérieure ».
  
 
 
 
Le réel n’est plus qu’une des sources, parmi d’autres, de ce que l’artiste recherche. Ici, Macke reste proche du travail réalisé par les fauves ou les expressionnistes du mouvement Die Brücke : il construit son aquarelle sur des contrastes plus ou moins forts entre les couleurs vives. Notre oeil est happé par le chapeau rouge puis passe au même rouge qui, au centre, entre en contraste avec le mur jaune. La couleur qu’il découvre en Tunisie est le sujet de son aquarelle. Il ne s’agit plus de la couleur ou de la lumière réelle observée pendant ce voyage, mais de retrouver ce que la lumière procure en lui.

Dans cette aquarelle, Louis Moillet semble être davantage marqué par le travail qu’ils ont tous observé chez Delaunay : l’aquarelle de Louis Moillet semble divisée en deux. à droite, le travail est plus lumineux, basé sur le contraste de clair-obscur bleu-orange. Comme dans les tableaux impressionnistes ou fauves, comme dans l’aquarelle de Macke aussi, le tableau est basé sur la violence plus ou moins forte de ces contrastes.
Mais à gauche, il n’en est plus de même. plutôt que de superposer ses couches comme on le fait souvent à l’aquarelle, l’artiste a retravaillé ses couleurs dans l’humide. Il perd en luminosité, mais gagne en subtilité de contraste, et le tableau gagne en profondeur. Comme chez le peintre Hollan, le spectateur semble se perdre dans l’épaisseur des couches d’aquarelle

Avant son voyage en Tunisie, Paul Klee a réalisé en avril 1912 un voyage capital pour son évolution, durant lequel il rencontre Picasso et Braque, Derain et Vlaminck et le Fauconnier. Le 11 avril, il rencontre Dealunay dont la compréhension des harmonies colorée va être déterminante.
A son retour, il traduit le texte « La lumière » de Delaunay pour la revue Der Sturm :
« la nature est traversée par une rythmique qui, de par sa diversité, a horreur de la contrainte. (…) L’art l’imite en s’efforçant de représenter des visions à l’harmoniemultiple – hamonie de couleurs qui se séparent et, ce faisant, fusionnent pour former à nouveau un tout »

Dès ce retour en Allemagne, il applique ces découvertes nouvelles dans des œuvres comme « la ville au trois dômes » (il s’agit des trois dômes de sa ville natale Berne) de ou « hommage à Picasso »


  
 
 
 
   
 
 
 


« la couleur engendrée simultanément n’existant pas réellement, mais ne naissant que dans notre œil, elle éveille en nous une sensation d’irritation et de vibration vive d’une force constamment variable ». Itten, futur collègue de Paul Klee dans son enseignement au Bauhaus précise ainsi ce que Delaunay avait déjà décrit dans son texte théorique en 1912 : ce dynamisme engendré par la simultanéité crée la vie.
 
 
 
 
 
 
 
voici les premiers travaux que je reçois :
Florence commence par tenter de copier le travail de Klee pour mieux le comprendre. Cela permet en effet d’analyser davantage l’organisation des dégradés ou des aplats et les ruptures ou non entre les plans colorés.
 
 
Mireille s’attaque tout de suite aux paysages tunisiens observés par Klee. Sa première version est figurative, et conserve l’illusion de la profondeur. Le papier Canson utilisé ne peut lui permettre d’avoir des tons aussi lumineux que Klee. Néanmoins, la couleur est passée assez rapidement pour que la finesse et l’encollage très léger du papier ne soit pas un handicap trop important. Cela explique cependant que les touches de couleurs soient toutes cernées de la même manière. Ce papier, et sans doute une vision trop focalisée sur certains détails de la photographie, ne permettent pas un vision globale comme chez Klee. On voit un palmier, puis le sol, puis les bâtiments. alors qu’il faudrait privilégier le passage de l’un à l’autre par les fameux passages entres les plans colorés. La seconde version montre bien cette compréhension de la nécessité d’une vue globale. Attention ici à ne pas trop diviser le dessin en trois zones horizontales d’égales importances. Il faut créer un rythme dans notre vision.
 
 
 
 
 
 
Voilà justement ce que réussit à faire Jean-Luc. Son horizon simple et contrasté unifie l’ensemble de l’aquarelle. Le contraste avec la diagonale en bas de l’aquarelle crée une vision plus dynamique. Et la vivacité des couleur, surtout dans la partie droite, crée des harmonies colorée assez variées.
Néanmoins, l’introduction de cette diagonale introduit une perspective qui nuit à la « pureté » de l’image. Le réalisme de ce premier plan semble en désaccord avec la liberté des plans colorés de droite. Sans doute, voyons-nous là encore une aquarelle encore trop partagée en plusieurs zones (la route en bas, les premiers maisons très décrites en clair obscur, ce qui va dans le même sens du réalisme, puis des plans colorés libres comme ce que recherche le Klee musicien, et enfin un horizon ) nouveau descriptif et de même pour le ciel.
L’aquarelle de Katia me semble pas rencontrer les mêmes soucis de réalisme. La vivacité des couleurs me paraît très naturelle, même si les contrastes de couleurs sont très forts par rapport à ceux de Klee. On semble plus près du travail de Macke que de celui de Klee. Sans doute faudrait-il seulement nuancer quelques contrastes pour ne le rouge du personnage par exemple ne capte pas toute l’attention.
Cette remarque me semble ce qui oppose Macke et Klee, par delà leur vie toutes deux tragiques – Macke meurt sur le front dès 1940 – alors que Klee vivra jusqu’en 1940 mais, atteint d’une maladie dégénérative en 1935, il ne pourra réaliser l’équilibre harmonieux qu’il annonçait… Macke reste capté par le réel. Il veut nous montrer ce qu’il a ressenti face aux villes tunisiennes. Alors que Klee nous laisse libre d’interpréter ses peintures musicales et poétiques, comme dans l’audition des musiques de Bach qu’il interprétera tout au long de son existence.


 
 
 
 
 
 
 
Comme Mireille, Mariane a réalisé Deux versions, l’une réaliste, puis la seconde plus libre.
La première version montre une composition variée des formes et des tons. La touche jaune à droite dynamise cette zone et en fait un centre tout à fait cohérent. Les réserves qui l’entourent lui donnent de la force et permettent à la violence du jaune de résonner longtemps. L’horizontale en réserve qui la surmonte aurait pu couper trop le dessin en deux, en séparant le ciel de la terre, mais le palmer de gauche nous permet de relier le bas avec le haut du dessin. La zone ocre entre les deux jaunes qui t’avait crée des problèmes pendant le cours est sans doute un peu trop opaque, mais cela est sans doute surtout dû à ce que les tons qui l’entourent sont très pâles. peut-être peux-tu les renforcer un peu(?), d’autant que les verts de gauche sont forts et un peu opaques.
La seconde version est très belle. Quelques zones sont sans doute un peu trop « bouchées », mais globalement, le regard circule bien entre tes couleurs variées qui se répondent. Par « couleurs bouchées », j’entendais les quelques zones qui semblent assoir les maisons à gauche autour du vert, au centre autour du rouge et même à gauche du personnage sombre de droite. Ces quelques touches plus marquées ne ferment-elles pas trop les volumes comme la maison en réserve de gauche, celle en dessous de de la tour rose ? C’est exactement ce qu’on va observer dans les aquarelles suivantes.
On voit justement sur la version (la photo est un peu floue…) de Catherine que ces volumes des maisons gagnent en qualité lorsqu’ils restent ouverts vers ceux qui leur sont voisins.
Chez Klee, comme dans ces aquarelles, la qualité vient des résonnances entre les plans colorés, plus tôt que de la description des maisons. Il faut les prendre comme des notes d’un « paysage musical », dont les résonances vibrent les une avec les autres.
Chez Pascale aussi, on voit tout l’intérêt que peut avoir l’ouverture de ces quadrilatères colorés. Cela est tout particulièrement sensible à gauche de la tour : la couleur de cette maison continue sous la tour, ce qui lui permet d’être reliée à la tour tout en s’en détachant. Cette maison ocre très pâle se fond peu à peu dans une maison encore plus pâle, quasi blanche. Mais le ciel légèrement bleu permet de la décrire assez. La qualité de ces contrastes tient aussi à ce que ciel soit rattaché à la tour : il se fond dans la tour avant que celle-ci n’ait été sèche. Pascale applique ce qu’on avait observé l’année dernière dans le cours (qui reste en ligne sur le site, sur le travail dans l’humide) Il faut relier les zones avant que les plans ne sèchent, mais pas trop tôt pour que les couleurs ne diffusent pas les uns dans les autres.
Cette remarque est encore plus vraie pour les maisons en dessous de la tour qui se fondent les unes dans les autres… ce qui a conduit Pascale à ajouter les rectangles verts qui montrent le sol, sans le décrire. Contrairement à l’aquarelle vue plus haut, ces maisons ne sont pas fermée par un contour, mais décrites pas une touche verte.
L’autre grande qualité de cette aquarelle tient au premier plan plus sombre en bas à droite, qui fonctionne comme un repoussoir et donne du relief à l’ensemble.

Comme ces dernières semaines, je termine par le travail envoyé par Marie José qui ose de plus en plus des harmonies colorées et fortes : son premier essai reste un peu trop ferme et descriptif en bas du dessin. Sans doute veux-tu compenser l’évanescence du dessin près de l’horizon? Plutôt que de renforcer ainsi la perspective par les zones sombres en bas n’aurait-il pas fallut avoir des plans colorés plus homogènes dans leur contrastes progressivement plus atténués à mesure qu’on va vers l’horizon? et donc plus fort en bas de l’aquarelle?
C’est un peu ce que je ressens dans la version 2-3, même si les tons plus vifs proches des jaunes me semblent trop se détacher des autres. J’ai l’impression que certaines zones du dessin luttent trop les unes avec les autres.
La version 4 me semble réussir à accorder ces luttes trop inégales avec une composition plus libres et des tons vifs et lumineux et harmonieux.

Catherine et Florence Monjal me renvoient deux aquarelles chacune:

Comme je le disais à propos de l’aquarelle de Pascale ci-dessus, la première faite par Catherine me semble réussir à lier les différentes couleurs. Catherine réussit à décrire les bâtiments sans enfermer notre regard dans ces quadrilatères. Cela est permit par le travail en grande partie réalisé dans l’humide. C’est justement ce qui manque à sa seconde aqurelle qui me paraît trop arbitraire dans le choix de ses couelurs et formes. et la tour Eiffel est trop lisible. Nous retravaillerons ce problème lors de la prochaine séance.

Le travail De Florence montre qu’une solution est justement de se concentrer sur un motif. Sa première aquarelle est une étude pour la seconde qui peut donc être plus libre.
Le « travail en série » est indispensable dès qu’on s’aventure sur des terrains moins maitrisés, ceux d’une relative abstraction ou liberté par rapport au réel.
La seconde aquarelle me parait très réussie dans l’agencement des quadrilatères-maisons au milieu des dunes.
Les palmiers ne gardent pas cette même liberté. Ils bloquent ma lecture, sans doute à cause de leur forme qui ne tient pas compte de ce qui les entoure. Au point de vue formel, il faut faire le même travail de « passage » que ce que nous avons fait pour les valeurs et les tons ces dernières semaines.
Pour cela je vous donne une piste avec deux œuvres de Klee que nous réutiliserons lors de la prochaine séance.

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