« la disparition des lucioles ». Prison Sainte-Anne, Avignon jsuqu’au 25 nov. 2014

Kiki-Smith-«Girl with Globe» 1998

Kiki-Smith-«Girl with Globe»
1998

« Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique, et surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleuves d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître.
Cela a été un phénomène foudroyant et fulgurant. Après quelques années, il n’y avait plus de lucioles. (Aujourd’hui, c’est un souvenir quelque peu poignant du passé : un homme de naguère qui a un tel souvenir ne peut se retrouver jeune dans les nouveaux jeunes, et ne peut donc plus avoir les beaux regrets d’autrefois.) Ce « quelque chose » qui est intervenu il y a une dizaine d’années, nous l’appellerons donc la « disparition des lucioles 
». L’exposition part de ce constat poignant d’une disparition que Pasolini avait associé quelques mois avant sa mort en 1975, à la disparition du monde ancien. Les lucioles sont une métaphore d’une société révolue.  Elles sont des œuvres qui  éclairaient le monde tel un veilleur de nuit avec les derniers scintillements d’une civilisation, celle d’une culture qui, partout en Europe, allait être dévorée par La société du spectacle, La collection E. Righi et la collection Lambert s’associent pour que le visiteur vive une expérience dans le lieu chargé de mémoire de la Prison Ste Anne.  “Laissez tout espoir, vous qui entrez”, prévient un néon de Ross Sinclair reprenant une célèbre injonction de Dante. Il est question d’enfermement, mais aussi du temps qui passe, de la solitude et de l’amour, dans cette exposition marquante qui nous parle de notre époque. Pour que le dialogue attendu entre les œuvres et le bâtiment soit fort, producteur de sens, le parti pris a été de laisser en l’état la Prison Sainte-Anne. Chaque œuvre est exposée dans une cellule, comme si elle était cette luciole sur le point de disparaitre.

 

disparition des luciolesla disparition des lucioles. Ouvrage collectif éd. Actes sud

Le catalogue permet de poursuivre la réflexion sur quelques-uns des thèmes forts de l’exposition. La sensation de la temporalité d’abord : ce « Temps suspendu » est pesant dans les vidéos de G. de Cointet, ou dans les horloges annuelles de Boetti. Le thème est présent aussi dans les constellations de Kiefer qui font référence à un temps plus cosmologique. L’isolement est un aussi thème récurrent qui témoigne de l’univers carcéral. M. Fatmi filme un homme dormant, en référence au film « sleep » de Warhol, mais ici l’œuvre est inquiétante : ne pouvant filmer Rushdie qui se terre depuis 1988 et la parution des « versets sataniques », M. Fatmi montre un portrait quasi immobile. Il signifie combien le monde est devenu pour lui une véritable prison. La prison avait aussi sont quartier réservé aux femmes, qui présente quelques œuvres marquantes de Barbara Kruger, Jenny Holzer ou de Nan Goldin, et des œuvres de la collection Righi, deRoni Horn, Zoe Leonard, Joan Jonas et aussi Barbara Blum, TrishaDonnely, « Un chant d’amour », filmé par Jean Genet permet enfin d’évoquer la liberté retrouvée, par son érotisme intrigant. Les scènes d’une poésie sensuelle (l’amour à travers un mur avec une paille diffusant de la fumée de cigarette qu’on s’échange) alternent avec des scènes violentes entre un maton voyeur et des prisonniers condamnés à subir ses humiliations.

L’ouvrageréunit aussi quelques textes marquants comme « lumière contre lumière » de G. Didi-Huberman. Le philosophe s’interroge ici sur la possibilité de faire apparaître une œuvre d’art. Quelle lumière est nécessaire pour faire advenir une œuvre ? Qui plus est lorsqu’il s’agit de montrer les œuvres dans une prison comme ici. L’auteur parle ici d’une « lumière dialectique » tant il s’agit de « manifester l’infâme dans le fameux », comme dans la plupart des œuvres d’art véritables. Il faut que l’œuvre advienne sans pour autant gommer le caractère infâme de la prison. Didi-Huberman convoque alors les photographies de Boiffard ou les textes de Dali qui nous perdent sans cesse entre un aspect concret et l’irréel, entre l’informe et le sublime aussi. Sur la prison elle-même, le  texte de Sylvestre Clap raconte son histoire, pendant que P. Artières s’intéresse aux paroles interdites entre les détenus.  Les mots étaient hurlés, murmurés ou gravés sur les murs, et disent toute la révolte, la solitude et l’espoir dont la prison continue à témoigner.

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