Dans l’exposition « Géricault » au Grand Palais de Paris en 1992, le développement de son art est décrit et documenté:
- En février 1811, il s’inscrit à l’école des beaux arts : il est élève de Guérin. Guérin ne croit qu’en la Grèce, version revue par le théâtre, pour l ‘emphase expressive. l’artiste et l’élève ne peuvent se comprendre. Plutôt que vers Guerin, Géricault se tournera vers Gros dont il admire la vigueur de la touche.
- En juin 1812 Géricault peint le chasseur de la garde pour le salon.
- En 1814, année de la débâcle virgule, il peint le cuirassé blessé. La critique de l’épopée napoléonienne s’accentue.
- Le 18 mars 1816, Géricault se présente au concours de Rome. Il franchit la première épreuve, celle de l’esquisse peinte, mais échoua à la suivante, celle des figures nues d’après le modèle viril. Six mois plus tard après son échec, il part tout de même pour l’Italie.
« L’Antiquité selon Winckelmann : pur contour, drapé diaphane, grandeur calme, nudité idéale. On a parfois voulu voir en Géricault une adepte du nouveau classicisme : Flaxman revu par Michel-Ange. Formule abusive. »
En effet, à son arrivée à Rome, Géricault court tout de suite à la chapelle Sixtine et reste sous le choc. Mais on est loin de la pureté de la ligne de Flaxman. Dès ses premiers croquis, Géricault est sous l’emprise de la démesure.
« L’artiste rompt d’emblée avec le catéchisme des antiquaires. L’Antiquité selon Géricault : cruautés, érotisme, ironie. Un dessin mystérieux du Louvre, où s’agite des formes spectrales sur fond sanguinolent, l’effet chromatique n’est due qu’au vieillissement des matières, la gouache, qui se délite et le calque huilé, qui s’assombrit, montre une scène de sacrifice au rituel cryptique. La primauté du taureau connote le motif d’allusion possible au culte de Mithra où l’oblation de l’animal, le tourobole, vaut avec sa pluie de sang métaphore de la régénération. Mais la source importe moins que la liturgie : un cérémonial frénétique de violence et de mort, où là glose freudienne discernerait sans doute un vecteur projecteur de castration symbolique, le taureau comme le bouc étant des emblèmes traditionnels du désir viril. L’Antiquité cautionne ce théâtre cruel du respect fétichiste que lui voue la culture d’Occident. La même image en version moderne (accessoires et costumes) passerait pour un symptôme inquiétant de folie homicide. Mais rien, dans ce protocole funèbres ou le meurtre et roi, n’a de rapport avec la catéchèse de Winckelmann.
L’Antiquité de Géricault milite aussi contre un art prude : elle s’affranchit d’un surmoi censeur. Sa dimension mythologique l’exonère de la bienséance en prêtant au libertinage la dignité de l’Olympe. D’où l’audace croissante de son érotisme. Un satyre trop humain, dans un dessin du Louvre donne la sérénade à la nymphe innocente qui sert d’ouailles attentive à sa pédagogie Sylvestre. La flûte est l’instrument suave de son entreprise amoureuse, la métaphore transparente de son désir phallique, de principe transgressif d’une culture discursive : la flûte s’oppose aux logos, comme le corps à la raison. Car l’effort physique de l’aulète déforme ses traits en gonflant ses joues : il engendre la grimace.La disharmonie du corps, indice de corruption morale, contredit l’harmonie du verbe, signe de vertu civique : le Platon de la République proscrit la flûte de la cité idéale. Le satyre parvient à ses fins, dans le dessin de Princeton qui lui fait pendant : il enlacent la victime avec une voracité prédatrice qui emporte la feuille dans le tourbillon de sa concupiscence. L’érotisme évolue de la franchise à la brutalité : Géricault, sagace clinicien des passions humaines, ne connaît de l’amour que ses formes primitives point, le rapt. Et l’étreinte : un monumental dessin du Louvre illustrent sans fard ces modalités belligérantes. Ou le viol : la sculpture de Rouen, bloc tenu de Pierre tendre hantée par Michel-Ange, annexe l’accouplement à la torture virgule avec une bestialité sublime. C’est érotisme et précurseur de la libido freudienne : physique, violent, pulsionnel. Une forme privative de la guerre : éros agostines.
Mais la licence est aussi d’ordre esthétique. L’artiste fait fi des proportions du marbre. Les membres s’étirent où se dilatent jusqu’à la disgrâce : satyre bossu, nymphes torse au galbe d’haltérophile, qui veulent aussi bien rapin et grisette. La nature bafoue le canon sacro-saint des statuts de la Grèce. Ces morphologies désinvoltes s’abattent en liberté sous des frondaisons massives dont l’alchimie pigmentaire des dessins romains (lavis, gouache aquarelle) suggère la splendeur chromatique. » (Géricault. éd. Rmn1992.p72)
Pour réaliser ces croquis hardis, Géricault n’hésite pas à modeler des groupes vigoureux qui semblent influencés par les esquisses de Carpeaux. judiceusement éclairés, ces groupes donnent naissance ensuite à ces esquisses gouachées.
Une fois la méthode mise en place, Géricault peut laisser libre cours à son invention et passer tour à tour des ombres au dessins linéaire ou aux coups de lumière vigoureux donnés par la gouache.
la méthode sera reprise ensuite pour ses études de course de chevaux à Sienne puis pour le radeau de la Méduse
ou de splendides paysages
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