ninfa dolorosa

Ninfa dolorosa. Essai sur la mémoire d’un geste.GeorgeDidi-Huberman. Ed Gallimard
17T01
Dans cet essai capital, il est question du sens et de l’utilité des œuvres contemporaines. Face à un monde violent, que doivent nous dire les images ? Et comment peuvent-elles le faire ? Et nous, de notre côté de spectateur, comment doit-on lire ces images ?
G. Didi-Huberman se pose toutes ces questions essentielles (nous sommes bien passé en effet dans une société de l’image) à propos d’une œuvre qui, depuis des années, ne cesse de nourrir sa réflexion. « La veillée funèbre au Kosovo autour du corps de Nasim Elshani , tué lors d’une manifestation pour l’indépendance du Kosovo » est une photographie prise par Georges Mérillon à Nagafc le29 janvier 1990. G. Didi-Huberman nous en rappelle rapidement l’histoire. Mérillon est au Kosovo dès les premiers troubles, bien avant que ne débute la guerre de Yougoslavie en 1998-99. En janvier 1990, il accompagne une équipe télévision a Nagafc où la police serbe a tendu un piège et exécuté quelques manifestants autonomistes. L’essai commence de façon très simple par décrire le travail technique du photographe : pourquoi réussit-il ce chef-d’œuvre, comment choisit-il tel ou tel objectif, telle lumière, tel cadrage, telle sensibilité de film. « il ne veut rien dire de la Stimmung, de l’atmosphère psychique et pathétique si intense à ce moment d’affliction collective, mais il décrit avec une précision surprenante l’atmosphäre lumineuse de la pièce ». La photographie fut d’abord rejetée par la rédaction de rédaction du magazine Time qui employait Morillon, avant d’être publiée par l’Express et le Figaro magazine. En 1991 enfin, le World Press Prise la distingua « photographie de l’année ». Christian Caujolle qui présidait le jury, souligne sa qualité autant esthétique que politique : la photographie doit à Rembrandt, dit-il, mais est aussi le symptôme d’une problème majeur et brulant pour l’Europe à venir. La photographie fut ensuite reprise par de nombreuses unes de la presse internationale sous le titre de Pietà du Kosovo. G. Didi-Huberman développe l’idée de W.Benjamin selon laquelle les images impliquent une durée et son épaisseur : l’image est témoin d’un « enchevêtrement culturel de migrations et de survivantes » (on retrouve le concept clef de survivance cher à G. Didi-Huberman, et avant lui à Warburg). L’ auteur convoque aussi bien Goya que l’artiste contemporain Pascal Convert qui tous deux utilisent des image faites de Traum(de rêve) et de Trauma. On a souvent souligné le mélange entre un imaginaire musulman et chrétien dans cette image de Mérillon : les familles sont musulmanes, mais l’image de la déploration est chétienne. Loin de contenter de cette analyse simpliste, G. Didi-Huberman veut décrypter la richesse de l’image. Pour ce faire, il passe d’un registre à l’autre, de l’histoire des pieta, omniprésentes dans les monastères de la région, aux utilisations qu’on peut en faire aujourd’hui. L’essai ne recule pas dans la tache politique que cette œuvre appelle. « La barbarie est cachée dans le concept même de culture » écrivait Walter Benjamin. Ce dictum fameux demeure d’une grande utilité si l’on peut, par exemple, établir les prémisses culturelles – philosophiques, philologique, historiques, ethnologiques ou même esthétiques – des différentes positions politiques ayant abouti aux « nettoyages ethniques » mis en œuvre par les serbes entre 1990 et 1999. » L’essentiel de l’ouvrage est en effet de discerner les non-dits dans les entreprises culturelles elles-mêmes : dans ces déplorations, on peut déceler en effet des possibles justifications des meurtres si nombreux commis alors entre la Serbie et le Kosovo… On peut aussi y lire des appels à la vengeance (comme dans certaines œuvres littéraires, parfois citées par les meurtriers eux-mêmes). Cet ouvrage est essentiel en effet, car il nous permet d’éviter deux écueils : face au monde actuel, il faut réussir à éviter toute grandiloquence, qui annulerait le propos artistique en le chargeant de trop de pathos. Mais il ne faut pas nos plus avoir par peur de se confronter au réel.

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