Sade. Attaquer le soleil. Annie Le Brun. Ed. gallimard.

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L’exposition commémorant le bicentenaire de la mort de Sade fut un réel succès, malgré quelques articles de presses se sont risqué à souligner le manque de clarté de la présentation. Les œuvres exposées, choisies pour leurs liens avec les textes de Sade,  n’étaient en effet que très peu mises en perspective. Tout au plus, quelques phrases de Sade, nous faisaient comprendre pourquoi telle ou telle œuvre était présentée là. Pour comprendre le propos des commissaires, le catalogue est nécessaire. Il permet vraiment de mesurer l’ampleur du travail d’Annie Le Brun. Divisé en huit sections, comme l’exposition, il permet de mettre un peu d’ordre dans la démesure et les excès voulus par Sade. Car l’exposition a un sens. Son propos est évident , tant Annie Le Brun cherche à définir un autre type de beauté. Finie la beauté idéale qui cherchait à réunir la raison avec l’art. Depuis les romantiques, elle n’est plus d’actualité. Sade défend un autre type de réalité, loin de la réalité même.

Dès la seconde partie de l’exposition, on se demande avec son commissaire pourquoi ne pas cesser de toujours représenter l’amour ? « L’amour est un acte sans importance puisqu’on peut le faire indéfiniment » écrivait Jarry au début du Surmâle. En effet, mais dans sa représentation, n’est-il pas question justement de représenter quelque chose de plus, plus près de l’irreprésentable ? Et finalement, ce désir d’ « attaquer le soleil »  – le titre de l’exposition et du catalogue qui l’accompagne – n’est-il pas de justement dépasser les images réifiantes du corps qui nous sont proposées aujourd’hui. « Attaquer le soleil », un des seuls crimes à faire absolument d’après Sade, permet d’inventer des images qui nous donnent enfin une « conscience physique de l’infini ».

A la fin du XVIIIème, on assiste à une véritable explosion de la gravure licencieuse, qui montrait souvent des ecclésiastiques aux prises avec la perversité. Pourtant, Robespierre dénoncera la déchristianisation en 1793.  On pense souvent en effet que l’arrestation de Sade le 8 décembre 93 fait suite à un texte anonyme et plein de ferveur, où il est question de combattre la religion : Sade disait en effet que « l’idée d’une chimère [Dieu] est, je l’avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme » (in « histoire de Juliette »). Annie Lebrun peut alors en passer à Goya l’autre anticlérical notoire de la fin du XVIII°, puis à la hantise de la décapitation qui suit l’instauration de la guillotine comme instrument de justice. Ce chapitre de l’exposition est un des plus fervent s, avec tous les développements consacrés aussi aux nombreuses « tentations de Saint Antoine » de la fin du XIXème siècle. Dans l’un d’elles,  Rops qui, « fait prendre la place du Sauveur lui-même sur la croix  [à une femme]; il paraît avoir su que le refoulé, lors de son retour, surgit de l’instance refoulante elle-même » : Freud décèle dans ces tableaux , à nouveau, une volonté de remonter le cours des passions pour remonter à leur source.

Après Sade, les artistes du XIXème et du XXème à ne cessent de s’interroger sur la vie elle–même et sur l’amour. Delacroix, lorsqu’il peint en 1827 « la mort de Sardanapale » oppose la rêverie du souverain au chaos dans lequel il précipite tout. C’est « une chose magnifique et si gigantesque qu’elle échappe aux petites vues » disait Victor Hugo, tant Delacroix réussit à faire se déverser vers nous tout un flot de jouissance, comme dans un rêve. Il nous donne à voir à la fois le rêve du maître et la structure même du rêve dans lequel toute notre vision se perd. Il nous donne à voir le désir lui-même.

L’exposition se termine sur la préoccupation d’ « attaquer le soleil ». Loin de regarder ou d’adorer le soleil réel, il s’agit ici de lui préférer l’éclat d’un soleil mental.  L’imagination est affirmée supérieure à la nature.

« en vérité Juliette, je ne sais qi la réalité vaut les chimères, et si la jouissance de ce que l’on n’a point ne valent pas cent fois celles qu’on possède : voilà vos fesse, Juliette, elles sont sous mes yeux, je les trouve belles, mais mon imagination, toujours plus brillant que la nature, et plus adroite, j’ose le dire, en crée de bien plus belle encore ? Et le plaisir que me donne cette illusion n’est-il pas préférable à celui dont la vérité va me faire jouir ? Ce que vous m’offrez n’est que beau, ce que j’invente est sublime, je vais faire avec vous ce que tout  le monde peut faire, et il me semble que ferais avec ce cul, ouvrage de mon imagination, des choses que les dieux mêmes n’inventeraient pas ». (Sade dans « histoire de Juliette »)

La fin de l’exposition cherche vraiment alors d’exprimer la rivalité entre l’homme et la nature. A  ce sujet, on peut revenir encore à l’origine du monde » de Courbet. En 1955, jacques Lacan demanda à Masson de réaliser un cache pour le tableau. Loin de cacher le tableau de Courbet, l’œuvre de Masson la révèle. Plutôt que d’enfermer le nu de Courbet  sous une autre image, il cherche à peindre le nu de l’intérieur, dans ce qu’il appelle un « naturalisme extasié ». Sa ligne nous donne à voir le désir lui-même, car « elle n’enfermera pas, ne cernera pas le vide. Trace prolongée du sillage d’un corps, de sa respiration, ce sera un signe choisi entre mille mais qui les supposera tous » (cité in catalogue p285, et issu du « plaisir de peindre » de Masson). L’exposition peut   enfin être vu comme une démonstration que Kant ne tient pas le dernier mot de la beauté. Pour lui, le sublime peut être atteint lorsque l’émotion est reprise et maîtrisée par l’esprit. Pour Sade au contraire, il s’agit  de chercher la beauté dans un ébranlement qui fonde le sujet.

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