Au centre Pompidou Jusqu’au 26 septembre, www.centrepompidou.fr
Gerhard Richter
Dessins et travaux sur papier
Au musée du Louvre Jusqu’au 17 septembre, www.lelouvre.com
«Je n’ai pas de programme, pas de style, pas de direction».
Une grande exposition au Centre Pompidou (150 œuvres), une autre de ses dessins au Louvre célèbrent une œuvre incontournable et caractéristique de la fin du siècle. Elle part des célèbres «photo-peintures» des années 60 pour aller jusqu’à l’abstraction des années 1980 et 1990. Avec Georg Baselitz ou Anselm Kiefer, Gerhardt Richter fait partie des peintres allemands qui ont rassemblé sur leurs toiles la richesse mais aussi les difficultés de leur pays dans l’après-guerre. Né en 1932 peu avant l’accession d’Hitler au pouvoir, dans une famille où le père Horst et l’oncle Rudi avaient leur carte au NSDAP, à Dresde, une ville que les bombardements américains de février 1945 allaient raser presque entièrement, Richter tente d’affronter l’histoire, les documents, la difficulté de l’Allemagne, sans pour autant montrer les choses de façon simpliste. Il ne cesse d’osciller entre une révélation des tourments européens, et une abstraction qui semble gommer la part tragique de l’histoire. Ce faisant, on retrouve les problèmes éternels de la peinture, prise entre la représentation du réel et une réflexion sur ce qui fait d’elle un art. Cette grande exposition monographique est magistrale pour démontrer que la peinture est plus vivante que jamais ! Plus que toute autre, la peinture « septembre » (2005) réalisée sur l’attentat du World Trade Center, qu’on avait pu voir à la galerie parisienne Goodman en 2009 – Richter ne voulait pas la présenter dans l’espace newyorkais de la galerie – révèle un grand peintre d’histoire : Richter réussit encore aujourd’hui par la peinture, à donner une image à cet évènement tragique.
Gerhard Richter. Images d’une époque. Hubertus Butin, Dietmar Elger, Dietmar Rübel, Uwe M. Schneede et Ortrud Westheider. Ed. somogy
Cet ouvrage est le catalogue de l’exposition éponyme organisée en 2011 à Hambourg. Avec le catalogue paru pour l’exposition du centre Pompidou la monographie dont je parle ci-dessous, ces trois ouvrages font aujourd’hui autorité pour analyser son travail.
Celui-ci se concentre sur les œuvres qui ont rendu Richter célèbre. Richter prend des coupures de presse et les reproduit en noir en blanc, en les rendant floue. Ses toiles d’escadrons aériens larguant des bombes (Mustang-Staffel, 1964) montrent des faits sans commentaires. Vingt ans plus tard, il peint la mort en prison des leaders terroristes de la bande à Baader ; sa série, sobrement intitulée 18 octobre 1977 montre simplement les corps, indiquant pour chacun les causes du décès (Abattu par balle 1-2, Pendue, etc.). Tout indique que Richter ne sait pas mieux qu’un autre ce que l’histoire signifie, ni la peinture. « Fixer la tristesse, la pitié et la peine. Mais sûrement aussi, la peur », commente-t-il. Cette même retenue, paradoxalement très efficace, se retrouve dans les portraits de son père et de son oncle (peints en 2000). On comprend pourtant peu à peu qu’on est loin de la prétendue neutralité affichée au début de son œuvre, peu après son passage à l’ouest. Il découvrait alors Fluxus et Beuys, mais aussi les Pop américains qui travaillaient aussi d’après des images de presse. Après les premières œuvres réalistes socialistes réalisées en RDA, des commandes qui lui auraient assuré une certaine réussite à l’est, et qu’il a toutes détruites, il se libère et rejette toute intention délibérément. Il dit ne plus montrer que des coupures de presses, comme au hasard. Les analyses de cet ouvrage permettent de comprendre vraiment la démarche du peintre. Elles portent aussi sur Volker Bradke, le seul film réalisé par le peintre vers 1966 et réunissent aussi des témoignages personnels, des lettres inédites et la retranscription d’une conversation entre Gerhard Richter et le spécialiste de son œuvre Uwe Schneede.
Gerhard Richter. Dietmar Elger. Ed. Hazan
L’auteur de cette monographie livre une biographie très abondante et détaillée. On suit peu à peu l’évolution du travail de Richter, des photos-portraits gris de ses débuts auxquels on le réduit trop souvent, aux abstractions, en passant par les nuanciers de couleurs et les quelques autres œuvres monumentales présentées au Centre Pompidou. Ecrit à la manière d’une chronique, l’ouvrage permet de comprendre la lente maturation de son œuvre. Richter pourrait sembler écartelé entre la figuration et l’abstraction dans l’exposition de cet été. On passe d’un «hyper-réalisme » à une abstraction très libre. On pourrait croire à un retour de l’ancien débat entre ces deux formes, comme il y a quelques décennies, mais les salles de Beaubourg ne témoignent d’aucunes crises personnelle ou esthétique. Richter passe simplement de l’un à l’autre de façon naturelle. Par exemple, les tableaux du cycle du 18 octobre 1977 sur les évènements politiques que constituait la mort des membres de la RAF (fraction armée rouge) sont extrêmement réalistes et ont pourtant été réalisés peu après et peu avant de grandes toiles abstraites. Dietmar Elger suit pas à pas l’élaboration, puis la réception des œuvres : elles ont suscité des réactions souvent violentes, comme on pouvait s’y attendre pour un sujet aussi sensible. « la terreur exercée par la RAF dans les années 70 était née de a révolte estudiantine et de l’opposition extraparlementaire » raconte l’auteur qui suit les épisodes qui mènent à la mort de Baader et de ses compagnons dans les prisons allemande le 18 octobre 1977. Face à la violence de quelques critiques ou de son ami le peintre Baselitz qui dit avoir honte de ces œuvres, Richter rectifie : « l’actualité politique de mes « tableaux d’octobre » ne m’intéresse pas du tout ». Plutôt que de se perdre dans des conjectures infinies, l’auteur nous entraine dans le travail du peintre. On le suit à la recherche des documents. On comprend les différences de couleurs entres les toiles des années 60 qui utilisaient du brun pour représenter les coupures de presse, avec celles-ci dont les contrastes noir et blanc sont plus froids et forts. On voit les sujets de Richter se concentrer peu à peu sur les corps de Baader et de Gudrun Ensslin. L’auteur revient sur l’ancienne volonté du peintre de représenter des camps de concentration dans les années 60… échec qui explique un peu l’extraordinaire force de ce cycle. Richter transcende vraiment l’évènement politique. La banalité et le mal se confrontent : les rêves et les aspirations de notre époque. Le cycle 18. Oktober 1977 joue un rôle important dans notre compréhension du pouvoir évocateur des images. Richter a souvent expliqué les 10 ans qui séparent l’évènement de la réalisation des tableaux par le « caractère universel » qu’il voulait donner aux œuvres. La préoccupation intense de Richter pour cet événement conclut ce groupe de peintures issues de photographies. Richter n’en bascule pas moins régulièrement dans l’abstraction. Les grandes toiles colorées qui ont suivi le cycle, peintes en raclant la surface, enrichissent encore les analyses de Dietmar Elger. « peindre, c’est créer une analogie avec ce qui est invisible et inintelligible et qui peut ainsi prendre forme et se rendre disponible. C’est pourquoi les bons tableaux sont incompréhensibles. Créer de l’incompréhensible n’a rien d’une ineptie, car l’ineptie est toujours compréhensible » ces propos introduisent l’auteur vers les réflexions qui président aux miroirs, ou encore aux paysages qu’il peint parfois : avec ses peintures abstraites, comme avec ses peintures réalistes, Richter tente de « transposer dans sa peinture l’expérience du regard par la fenêtre ». Il revient à la définition de la peinture donnée au début de la renaissance par Alberti pour mieux la dépasser.
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