Contrairement à ce que nous avons étudié ces derniers cours, le but n’est pas de créer un espace par des ruptures de plan ou des passages progressifs entre eux. Il s’agit ici d’un travail sur le dessin et surtout sur la couleur.
Seurat puis Signac, Cross et quelques autres cherchent avant tout à revenir à l’éclat de la lumière blanche. Reprenant les résultats mis en évidence par Newton dans sa théorie de la couleur, et divulgué par le travail de Chevreul, Seurat décide de ne plus utiliser que les couleurs de l’arc en ciel posées côté à côte, de façon à créer dans notre œil un mélange optique qui, dans notre cerveau, se fusionne en lumière blanche. Il s’interdit tout mélange autre que celui d’un couleur avec celle qui est à ses côtés sur le cercle chromatique, ou avec du blanc. Il refuse de ternir les couleurs, en espérant atteindre la lumière blanche pure.
Dans cette aquarelle, l’espace est construit non par le clair-obscur, mais par le contraste des couleurs. Plus il est fort et plus les plans avancent: rouge-orange est un contraste faible donc ces deux plans reculent malgré leur chaleur qui les ferait avancer en temps normal. En effet, le contraste bleu-orange est maximal et avance davantage que cet arrière plan.
Dans cette aquarelle, les réserves (ici le papier est jaunâtre) ne signifie pas la lumière. les blancs qu’il a ajouté sur le bâtiment en arrière plan ou sur le nuage, non plus. La lumière vient des couleurs elles-mêmes, et de leurs contrastes.
Les réserves sont encore plus importantes que chez les autres aquarellistes, mais ne signifient pas la lumière : elles permettent de laissent « respirer » chaque touche de couleur.
Les teintes vives ne se touchent que très rarement car cela produirait vite une impression de saturation fatigante pour nos yeux.
L’outremer des gondoles du premier plan est entouré de réserve pour laisser la couleur « résonner » : le blanc du papier en réserve se charge ainsi de la couleur complémentaire grâce au contraste simultané (cf. le cours sur R.Delaunay qui utilise souvent ce contraste) Sur cette aquarelle, on voit bien que le blanc est utilisé comme une couleur.
En 1929-30, il réalise toute une série sur les ports de France, et à cette occasion , commence par de nombreuses aquarelles. Elles ont été exposées récemment au MUMA au Havre, dont vous pouvez voir le dossier de presse en cliquant sur l’image ci-dessous
je vous propose de travailler comme signac, avec des teintes pures et du dessin d’après l’une des photos suivantes
Henri-Edmond Cross (1856-1910) a commencé son apprentissage auprès de Carolus-Duran à Lille et expose dès 1881 au salon sous le pseudonyme de Cross, traduction e son vrai nom Delacroix, pour se distinguer d’Eugène Delacroix. Mais sa rencontre de Seurat et de Signac en 1884 au Salon des Artistes Indépendants transforme sa vision, et en 1891, il rejoint le groupe des divisionnistes.
L’année de la disparition prématurée de Seurat (1891), il expose son premier tableau divisionniste « Portrait de Mme. H.F ».
L’aquarelle, comme pour Signac, lui permet de se libérer des règles strictes de l’élaboration du tableau pointilliste.« Je me repose de mes toiles par des essais à l’aquarelle et des esquisses en me servant de cette matière. C’est amusant. L’absolue nécessité d’être rapide, hardi, insolent même, apporte dans le travail une sorte de fièvre bienfaisante… » écrit-il à son ami , le peintre Angrand.
Cross exécute de nombreuses aquarelles près de St-Tropez, où il s’est installé comme Signac, et alterne de simples prises de notations sur le motif, avec des aquarelles plus composées conçues pour elles-mêmes. Mais il est aussi un merveilleux dessinateur. Si certaines pièces se révèlent être des études préparatoires pour des peintures, avec parfois des mises au carreau, d’autres s’affirment comme des œuvres à part entière. Comme dans les aquarelles de Signac analysées ci-dessus, le dessin est primordial et est souvent conservé dans la phase finale.
Les zones laissées en réserve servent avant tout à laisser une respiration entre les couleurs vives. ci encore, l’espace est crée par l’organisation des contrastes plus ou moins forts entre les teintes vives: l’arrière-plan reprend les couleurs du premier plan en plus dilué. Cela permet d’avoir une grande variété de tons et de valeurs, mais ce n’est plus la clarté des tons dilués qui représente la lumière. Le choc entre l’orange et le bleu au premier plan se fait au sein des réserves qui les entourent. Grace au mélange additif des couleurs, comme dans les disques en rotation de Newton : La synthèse de l’orange et du bleu, tons complémentaires, crée la lumière blanche. Ce nouveau système s’oppose au mélange soustractif des couleurs, dans lequel les couleurs fonctionnent comme des filtres qui enlèvent peu à peu les couleurs du prisme (l’arc en ciel). Dans le mélange sous tractif, on va peu à peu vers le noir, et dans le nouveau système additif, on va peu à peu vers le blanc.
Dans les « arbres au bord de la mer » montrée au début du chapitre, quelques tons se mélangent tout de même, comme dans cette aquarelle, ce qui nous permet de voir Cross de donner quelques libertés par rapport à la technique très contraignante de Seurat et Signac.
Je vous propose de réaliser un travail dans cet esprit d’après une des photos suivantes de la côté corse. Les aquarelles réalisées sont visibles et annotées en cliquant sur l’image.
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