« Morgenthau Plan » d’Anselm Kiefer à la galerie Gagosian jusqu’au 26 janvier

Kiefer utilise un projet délirant proposé en 1944 par l’ancien secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau visant à transformer l’Allemagne après la Seconde Guerre Mondiale en un Etat pré-industriel, agricole et limiter ainsi ses possibilités de mener une guerre.  »Morgenthau Plan » est véritablement une installation d’un champ de blé doré, enfermé dans une cage en acier haute de cinq mètres. Morgenthau cherchait à diviser l’Allemagne en deux Etats indépendants : il s’agissait d’annexer ou de démanteler tous les centres allemands de l’industrie par une décision dévastatrice qui aurait sans doute mené à la mort de millions de citoyens des suites d’une épidémie ou de famine.

Il est amusant aussi de penser que ce projet a pu aider Hitler à la fin de la guerre à galvaniser ses troupes. Les soldats dépités par les revers de Hitler en 44-45 auraient pu se rebeller et commencer à se mutiner contre les officiers. Leur hostilité au Morgenthau Plan les aidait à lutter et suivre Hitler jusqu’au bout. Henry Morgenthau n’avait sans doute pas ce but, mais il a eu cet effet.


Comme toujours, l’oeuvre suggère toutes ces contradictions. Le champ de blé est doré, comme pour en appeler à des lendemains meilleurs, malgré les grillages infranchissables qui l’entourent : il suggère bien l’aurore qui s’annonce à la fin de la guerre. Pour autant, il ne faut pas s’y fier. Les dangers rôdent, comme en attestent les éléments disséminés dans le champ que le visiteur devra découvrir peu à peu, comme dans un jeu de piste. Peut-être verra-t-il d’abord le grand livre de plomb abandonné au milieu du champ,face contre le sol. Comme dans « Mésopotamie. la Papesse » réalisée en 1985-89, où les livres étaient immenses comme si les Titans eux-mêmes les avaient réalisés,

Kiefer rend ses livres illisibles. Ils ne sont pas là pour nous révéler un savoir immémorable, mais pour signifier leur perte. Ce prétendu retour à la nature préconisé par Morgenthau n’est en effet qu’un rejet de toute humanité. Plus loin on perçoit une pierre sculptée, sans doute un élément des vastes systèmes d’irrigation de l’antique Mésopotamie (?). Plus loin aussi un serpent se faufile entre les épis de blé.

Dans une pièce adjacente à cette installation, sont présentées trois peintures de champs de fleurs. Anselm Kiefer a dit son plaisir à simplement peindre les fleurs de Barjac. Les tragédies humaines ou celles traversées par le XX° siècle restent à distance, simplement évoquées. ces champs peints montrent combien le réel est superbe, mais aussi combien son équilibre est fragile. Kiefer peint sur des tirages de photos, mais la peinture reste pâteuse  Les tournesols ou les autres fleurs semblent sur le point de disparaître dans l’épaisseur de la touche de Kiefer. le Blanc et le noir sont essentiels. mais des rehauts de couleurs se superposent à ces touches épaisses, comme des glacis. l’ensemble est superbe, et les griffures qui zèbrent sa surface nous font craindre l’imminence de sa disparition.

 

bibliographie :

Jean Clair (cf. Art Press, n° 334, p. 33 et 34)
Philippe Dagen (cf. Anselm Kiefer – Sternenfall, éditions du Regard)
Daniel Arasse (cf. Anachroniques, p. 67-82) et sa grande monographie parue aux éditions du Regard.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

  • Archives

  • Catégories

  • Recherche