biennale de Venise 2019 jusqu’au 24 novembre

exposition principale aux Giardini et à l’Arsenale

Baselitz. Galerie de l’Academia.
Helen Frankenthaler au Palazzo Grimani
Laure Prouvost au pavillon français (dans les Giardini)
Gorky à la Ca Pesaro
Kounellis. Fondation Prada
La Pelle. Luc Tuymans à la fondation Pinault au palazzo Grassi.

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Catherine Millet souligne, dans un récent article de la revue Art Press, la tendance des récentes biennales d’art contemporain à donner une large place aux vidéos : « la question du temps se pose de façon d’autant plus cruciale que les images qui bougent ont de plus en plus tendance à remplacer les images fixes. Plus encore que les éditions antérieures, cette biennale 2019 propose une énorme proportion d’installation vidéo et de films ». Son propos n’est pas de critiquer cette évolution, la journaliste n’a cessé depuis de longues années de soutenir ces médium modernes. Rappelons-nous l’excellence de l’installation de Sala au pavillon français en 2015 (qui est encore présent dans l’exposition actuelle de la fondation Pinaul). Ces oeuvres ont imposé la vidéo dans les expositions d’art contemporain, comme on peut le voir encore à Venise cette année au pavillon français de Laure Prouvost ou au pavillon du Danemark. Néanmoins, la longueur de ces vidéos impose souvent un choix au visiteur qui ne peut passer assez de temps dans chaque pavillon pour réellement pénétrer le sens et la poésie des œuvres… et relèguetrop souvent les anciens médium dans quelques oubliettes.
Laure Prouvost investit le pavillon français avec une œuvre dans laquelle la vidéo occupe une place centrale. Son installation mêle la performance, la sculpture et la vidéo, pour créer une des œuvres les plus immersives de la biennale. Le pavillon est divisé en trois espaces. La première salle est baignée de lumière zénithale comme pour évoquer un bord de mer. Des branchages, quelques poisons et autres animaux marins ou quelques détritus sont pris dans la résine, comme s’ils restaient encore humides après avoir été refoulés par le ressac. Dans l’espace central plongé dans l’obscurité, le spectateur s’assoit à tâtons dans des fauteuils aux formes de récifs coralliens pour suivre une vidéo faite de séquences courtes qui racontent un road trip entre Roubaix et Marseille. A Roubaix, une colombe s’échappe d’un tableau. A Hauterives, le Palais idéal du facteur Cheval, visité la nuit, se transforme pendant une visite nocturne en cité engloutie par les eaux : Les 12 voyageurs dont nous suivons le périple s’envolent enfin à Marseille pour se retrouver dans les ateliers de Murano d’où sortent de drôles de totems en verre… Ce schéma très décousu nous plonge dans un rêve fantastique. Le troisième espace réunit à nouveau des objets, souvent issus de la vidéo, comme si l’artiste avait voulu donner plus de réalité au rêve qu’elle nous raconte.
Vois ce bleu profond te fondre. Coédition flammarion/institut français
Comme dans le pavillon à la biennale, les lecteurs de l’ouvrage doivent s’enfoncer dans leur lecture, comme dans un rêve : Laure Prouvost se réclame souvent d’un certain surréalisme. Il ne s’agit pas de rendre le monde intelligible, mais de nous initier à un autre monde où le réel se dédouble. Les auteurs de cet ouvrage racontent chacun des histoires différentes qui nous aident à entreprendre ce voyage. Dean Kissick, auteur du premier texte « par-dessus des toits de Londres » nous raconte la première exposition de l’artiste à Londres, comme pour montrer les racines de son rêve. Dans « on ira loin », Annabelle Ténéré invente une origine à son insatiable envie de voyager. « L’échappée vers l’inconnu et le rêve d’un ailleurs traversent dès ses débuts le travail de Laure Prouvost, depuis la fuite mystérieuse d’un Grandad jamais retrouvé. Chez elle, ce qui semble faux est souvent le plus vrai : son travail artistique prend pour point de départ l’histoire de personnages, réels ou de fiction, y compris de sa propre fiction familiale, ou encore le contexte géographique ou elle expose ; les films sont tournés sur les lieux de leur histoire, les adolescents qu’on voit y vivent. Certains d’entre eux sont-ils aussi les petits-enfants de ce Grandad [le grand père de Laure], artiste conceptuel, ami de Kurt Schwitters, disparu alors qu’ il réalisait son chef-d’œuvre, un tunnelier creuse depuis son salon vers l’Afrique ? » Toutes les textes s’enchevêtrent comme des facettes entre lesquels de belles reproductions nous donne accès au monde qui était dépeint dans le pavillon français.

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Baselitz d’après Giovanni da Paolo « expulsion du paradis » 1957$

Pour faire durer un peu la rêverie de Laure Prouvost, le mieux serait de visiter ensuite quelques unes des grandes expositions organisées dans Venise. La plus importante est sans doute celle organisée à l’Academia, consacrée à l’œuvre de Baselitz (né en 1938). C’est la première fois que le célèbre musée se concentre sur un artiste vivant. Kosme de Baranano, commissaire de l’exposition, réunit des œuvres importantes choisies dans toutes les périodes de son travail, avec pour fil directeur la relation entretenue par Baselitz avec la tradition académique, et en particulier avec l’Italie où le peintre eut longtemps un atelier. L’accrochage met tout particulièrement en valeur ce que ses grandes peintures doivent à la tradition, par les quelques salles qui sont consacrées au dessin que Baselitz consacra aux maitres du XVIeme, comme Pontormo ou Giovanni da Paolo comme ci-dessus. Le parallèle entre ces dessins et les portraits réalisés d’après ses amis ou sa compagne donne tout son sens au travail du peintre. Toute cette génération – les artistes nés autour de 1939-45 – n’ont eu de cesse de réussir à créer un art nouveau qui se libère des carcans imposés par la critique américaine. Le credo de ceux qu’on appela alors les néo-expressionnistes semblaient se fier davantage à l’expression personnelle en rejetant ce que l’histoire de l’art moderne pouvant avoir de sclérosant. Il ne s’agissait pas cependant de renier toute mémoire. Baselitz, comme Kiefer ou Immendorf, comme Garouste en France, comme la Transavangarde italienne reviennent vers une peinture plus directe, tout en renouant avec l’art du passé.

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Tuymans. Wandeling. 1989

« La Pelle ». Le titre de l’exposition consacrée à Luc Tuymans (1958) au Palazzo Grassi s’isnpire du roman « la peau » de Malaparte publié en 1949. Cette référence permet de « relire nombre des traits fondamentaux de son œuvre dans une perspective culturelle italienne, la guerre, et plus particulièrement la seconde guerre mondiale, la banalité du mal, la combinaison baroque de la tragédie et de la farce, l’ambiguïté de la réalité et de ses images ». L’œuvre entière de Tuymans questionne le pouvoir et la véracité, ou la tromperie des images. Il commence toujours à peindre à partir d’une image trouvée. Comme un réalisateur, il recadre, et transforme l’image, la zoome ou la floute, comme s’il voulait nous questionner sur le pouvoir de l’image en ce début du XXIeme siècle. « il dit que tout tableau doit comporter un « trou », un défaut », et que c’est par là que le spectateur peut s’emparer de l’œuvre et ainsi remettre en question le monde qui l’entoure. Luc tuymans : « On vit dans des temps assez intéressants ! C’est un peu à cause de ça que j’ai travaillé à partir de Malaparte, qui était un écrivain victime de l’histoire. Dans un temps, peut-être comme aujourd’hui, où l’Europe était dans le pétrin. Le titre de l’exposition reprend celui de son roman La Pelle, mais j’ai trouvé Kaputt [le roman autobiographique de Malaparte, publié en 1944] beaucoup plus intéressant. C’est un grand écrivain. Moravia a toutefois dit de lui que c’était un con. Mégalomane, ça, c’est certain. Mais le faux, le vrai, ça m’intéresse. Et, en Italie, ils adorent ça… Un beau mensonge, c’est mon métier. Un peintre ne peut jamais être honnête. On a besoin de malhonnêteté pour dire quelque chose, sinon on est complètement coincé. Regardez Anselm Kiefer : il est sincère, le grand maître allemand ! Beaucoup de culture, mais pas d’ironie, pas d’humour. C’est pénible, quand même… Mais mon travail n’est pas gai, et cela ne l’a jamais été. Il vaut mieux être pessimiste, comme ça on n’est jamais déçu. »
Luc Tuymans revisite ici un sujet qui traverse l’ensemble de son travail : le nazisme. Il a utilisé l’image de la porte en acier qui donnait accès au complexe de tunnels du bunker d’Hitler à Berchtesgaden. Pour autant, rien n’informe visuellement le spectateur sur cette source et le titre du tableau, qui signifie en allemand « le couloir des morts », n’est pas non plus informatif. L’artiste n’a donc pas souhaité que ce tableau soit interprété comme un commentaire direct sur le nazisme. En revanche, le sujet apparaît clairement comme étant l’enfermement, mais vu de façon paradoxale. En effet, de quel côté nous trouvons-nous face à cette porte fermée ? Dedans ou dehors ? Sommes-nous protégés ou emprisonnés ? Dans le cas présent, les deux options sont abordées. Comme souvent chez Luc Tuymans, le sujet est décontextualisé : la porte n’apparaît liée à aucun élément d’architecture et la composition est abstraite, avec deux bandes horizontales noires – la couleur de toutes les couleurs, rarement utilisée par l’artiste et dans la peinture figurative – encadrant le noir rectangle vertical de la porte. Celle-ci est nimbée d’un halo de lumière en demi-cercle qui lui donne une dimension surréelle, métaphysique, comme si elle invitait à passer vers l’au-delà. La question est de savoir si derrière la porte existe une possibilité de rédemption, y compris pour le mal absolu que fut le nazisme. Le tableau questionne aussi la véracité, ou non, des images. Celle-ci témoigne de façon incomplète de notre histoire et nous rappelle la nécessité de ne pas oublier cette période sombre tout en signifiant nos propres ambiguïtés.
L’essentiel de cette édition 2019 sera cependant loin de ce propos de rêverie. Le titre donné par R. Rugoff pour sa biennale « puissiez-vous vivre dans des moments intéressants » fait référence à un discours de Cahamberlain de la fin des années 30 au cours duquel le diplomate britannique évoquait une malédiction menaçante. Le Commissaire de l’exposition ajoute « nous passons d’une crise à l’autre, nous souffrons d’ « un perturbation et d’un choc après l’autre ». Les fake news comme les faits alternatifs altèrent notre connaissance du monde. Plus que jamais, notre perception de la réalité est troublée. L’essentiel des pavillons témoigne de ce moment de crise.

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Baselitz d’après Giovanni da Paolo « expulsion du paradis » 1957$

Jean Dubuffet et Venise au palais
Franchetti à Venise jusqu’au 20 octobre
Le Palazzo Franchetti à Venise, dans une des expositions parallèles de la biennale de Venise, rend un hommage à Dubuffet. 290 œuvres et objets issus de musées européens et collections particulières montrent l’importance de cette ville pour Dubuffet : deux grandes expositions y ont eu lieu de son vivant, l’une en 1974, au Palazzo Grassi, et l’autre en 1984 au pavillon français de la biennale d’art. L’exposition réunit des tableaux comme « Célébration du sol », « Hourloupe » et « Mires », tous présentés dans de vastes pièces de l’étage principal du Palazzo Franchetti de Venise.
Jean Dubuffet. Un barbare en Europe.
Au MUCEM (Marseilles) jusqu’au 2 septembre
A l’IVAM (Valencia) du 8 octobre au 16 février 2020
Au MEG (Genève) du 8 mai 2020 au 3 janvier 2021
Jean Dubuffet (1901-1985) rejetait toute culture qu’il jugeait stérile. Dès les premières pages du catalogue, J-F. Chougnet souligne le paradoxe qui préside à toute son œuvre. Dubuffet n’aura de cesse de fuit les musées, ces « organismes de propagande » de l’état, ces morgues d’embaumement, ces citadelles de la culture mandarine », qu’il « percevait comme un danger pour la création artistique » : « à confiner les œuvres dans les musées, on empêche qu’elles soient reçues dans la cité vivante ; on le dote d’un caractère intouchable, interdit, qui détourne le public d’en faire usage. » le philosophe H.Damisch a longtemps souligné ce paradoxe. Dubuffet ne cesse de nous mettre en garde contre la culture dans le même temps où il veut donner aux œuvres d’art brut, c’est-à-dire aux œuvres produites hors de l’ « art professionnel », un statut artistique. Cette exposition propose un regard nouveau sur l’ensemble de son œuvre, à la fois picturale, littéraire, et prospective dans l’invention de ce qui deviendra l’art brut. Le MUCEM continue ainsi à proposer dans ses expositions un regard neuf sur les arts qui, à la marge de la culture, ne cesse de redéfinir ce qu’elle est réellement.
Jean Dubuffet. Un barbare en Europe. Coédition Hazan/MUCEM/MEG
Le titre détourne celui d’un livre de Michaux paru en 1933 ,« un barbare en Asie », où le poète rendait compte de sa découverte d’une altérité radicale. A l’issue d’un voyage en extrême Orient en 1931, Michaux se sent devenir barbare lui-même. La même inversion peut en effet se déceler dans la position de Dubuffet qui pervertit de l’intérieur tout le système artistique. « Dresser un portrait métaphorique de Dubuffet en barbare, c’est se donner la possibilité de voir et de comprendre, derrière l’apparente contradiction, ce qui motive le travail d’un des artistes les plus prolifiques du XXe siècle, ainsi que sa réception et sa postérité, hier comme aujourd’hui » écrivent Baptiste Brun et Isabelle Marquette, commissaires de l’exposition. Car derrière les œuvres exposées, il s’agit avant tout de comprendre le projet de Dubuffet. La tâche est nécessaire encore aujourd’hui : les conservateurs de grands musées français ont longtemps tardé à présenter son travail. Une première toile entre dans les collections nationale en 1956 seulement, et sa première exposition personnelle dans un musée n’eut lieu qu’en 1967, (dans le musée des arts décoratifs, et non de Beaux Arts !). Le texte de Thierry Dufrêne de l’art « obscur » à l’ « art brut », est un véritable travail de déchiffrement de ce qu’est l’art pour Dubuffet. Comme je le disais plus haut pour Baselitz, l’art ne peut advenir sans rejeter tout carcan et donc tout l’art officiel. Dubuffet, comme tout artiste authentique a été confronté à ce besoin de réinventer ce qu’est l’art. Sa définition de l’art brut n’est pas en effet un travail théorique que Dubuffet aurait effectué à côté de son travail créatif. Il fait réellement partie de son travail artistique.

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