« Fatum » de Jérôme Zonder à la maison rouge jusqu’au 10 mai

Jérôme Zonder, né en 1974 et sorti des Beaux Arts de Paris en 2001,  n’en est pas à sa première présentation à la Maison Rouge. On a déjà pu l’y voir, à l’exposition « cannibale » par exemple. Mais ici, on prend toute la mesure de son travail. Toujours le crayon, sans erreur ni reprise, Jérôme est un virtuose du dessin. Le graphite et le fusain couvrent tout l’espace, du sol au plafond. Le spectateur entre véritablement dans l’oeuvre, avec des dessins présentés normalement sous cadre, mais exposés sur des murs eux-mêmes recouverts de dessins. On croit assister à ce que Kandinsky racontait dans « regards sur le passé » où il dit rêver entrer dans une peinture, comme on entre dans une maison russe peinte du sol au plafond. l’expérience est totale.

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Au départ, on aurait pu croire à une présentation chronologique, avec, dans la première salle, quelques dessins un peu plus anciens et un travail au bic dans lequel l’artiste se tire lui-même un balle dans la tête, ou parle au spectateur comme dans une planche de BD au rendu hyperréaliste.

Matière grise, 2014

Matière grise, 2014

 

 

 

 

Mais bientôt, la mise en scène nous fait comprendre qu’on rentre véritablement dans le propos. Fini, ce regard facile. Les couloir se couvrent de peinture noire, comme s’il voulait nous dire combien le monde qu’il décrit ici allait être glaçant.

 

 

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JÉRÔME-ZONDER_
« jeu d’enfant »
.2010.mine-de-plomb-sur-papier.160×160

 

 

 

 

 

Dès lors les séries que vous avez pu découvrir dans des expositions plus anciennes ou dans sa galerie Eva Hober à Paris, se mêlent pour nous perdre toujours un peu plus et nous enfoncer dans l’histoire du XXème siècle, dans l’histoire de notre regard sur ce siècle. On retrouve quelques pièces de la série des   »adolescents » de 2014, dans lesquels les visage ont un regard fuyants. On doit chercher les personnages qui nous font face. Rien n’y est donné. On arrive bientôt aux « jeux

 

J. Zonder. "jeu d'enfants". (2011mine-de plomb et fusain sur papier 200x150cm)_

J. Zonder. « jeu d’enfants ». (2011mine-de plomb et fusain sur papier 200x150cm)_

 

 

 

 

 

d’enfants », qui n’en sont pas du tout justement, et nous renvoient à toute la brutalité et à la sauvagerie du monde. ces scènes sont étranges. Ce sont vraiment des simulacres. Celui qui est torturé fait partie d’un jeu. Il n’a pas les mains attachées, et les bourreaux rient aux éclats. Mais les jeux sont véritablement grinçants. Les enfants ne jouent plus au Papa et à la maman. Ils jouent à égorger, se déguisent en nazis, prennent des poses comme dans un « orange mécanique » enfantin. Au sol traient des magazines de Walt Disney. Mais au milieu des figures de Picsou, on de Donald et Bambi, des scènes issues de films porno crèvent l’écran!

 

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On assiste vraiment à une mise en scène de notre regard. Les références à l’art du passé abondent. Van des Weyden, Brueghel, mais aussi Paul Mac Carthy ou Walt Disney. Toujours des yeux qui semblent percer le masque, celui des dessins enfantins, comme celui des masques de papier mâché qui clôt cet histoire du regard.

"Les fruits du Dessin" 2013

« Les fruits du Dessin » 2013

 

 

 

 

 

 

 

La dernière salle se referme sur les dessins réalisés d’après les photos prises à Auschwitz II – Birkenau en août 44. Ces images prises par un membre du Sonder kommando montrent des femmes courant nues vers les chambres à gaz. Elles ont été analysées dans toute leur ampleur par G. Didi-Hubermann dans « Images malgré tout « . Elles faisaient écho au fameux « écrire un poème après Auschwitz est barbare » de Adorno. Toute l’humanité a été confronté à une impossibilité face à Auschwitz. Mais aujourd’hui, alors que ces images sont peu à peu réapparues, on ne peut simplement fermer les yeux. Jérôme Zonder réalise des dessins incompréhensibles, à force de pression de son doigt imprégné de graphite et de fusain. Ses dessins sont incompréhensibles si on s’en approche, comme dans le cas d’une technique pointilliste. Mais à mesure qu’on prend du recul, qu’on s’en éloigne, elles se révèlent. Le regard ne serait-il possible qu’en prenant un peu de distance?

Pour comprendre son travail, il faut se référer à l’entretien recueilli par Y Benaï dans « l’officiel Art » de sept oct nov 2014:

« à ma sortie des Beaux-arts, le territoire de l’art m’a paru occupé par un champ globalement assez conceptuel lié à des pensées héritées des années 70. J’ai cherché un terrain d’expression, tentant de le fixer à des comportements et non à des engagements, des sujets qui, certes, m’intéressaient mais ne me suffisaient pas. D’un autre côté, le fait de me plonger complètement dans un thème et d’en extraire une histoire entièrement personnelle ne me satisfaisait pas non plus. Donc pour moi, le travail de la limité dans le dessin a été une tentative de lier les deux éléments, faire coïncider pôles qui, séparément, ne pouvaient me convenir. » Dans les années 80-90, l’enseignement des Beaux Arts de Paris tournait en effet autour d’un engagement personnel. D’un côté, il y avait Boltanski , assez proche des conceptuels mais dont le propos tournait déjà autour de la mémoire, celle de la Shoah en particulier. D’un autre côté, il y avait V. Veličković, ou A. Hadad dont les peintures écorchées parlait du drame de la condition humaine. Mais tous les deux développaient une narration sur ce qu’ils avaient vécu au milieu du XXème siècle.

Jérôme Zonder se met délibérément à distance de ces attitudes. « intuitivement, la violence a depuis le début orienté le choix des sujets dans mon travail et organisé le rapport que je voulais entretenir avec sa matérialisation. Il s’agit de la violence dont on hérite et de la violence du monde au présent. La radicalité du dessin coïncide, dans mon esprit, avec de fortes intensités qui sont le plus à même de rendre sensible ce qui veux donner à voir. Dans cette perspective, la notion de limité s’est très vite imposée à moi comme stratégie de travail. Un horizon qui soit à la fois le champ d’investigation et son but. Quelque chose qui définisse et qui ouvre au même moment, comme une ligne qui deviendrait un espace. C’est cette idée qui rend possible l’amplitude grand angle qui est pour moi, le caractère du dessin à aller à Lascaux, à Ingres, passer de chair grise #1 au portrait de Pierre-François. Le dessin prend sens parce qu’il est capable de sortir des limites qu’il s’impose, c’est même sa raison d’être : envahir le réel et du m^peme coup renvoyer le spectateur à sa nature symbolique narrative. Cela m’évoque le personnage de Philémon, dans l’extraordinaire bande dessinée éponyme de Fred, où le personnage voyage sur les lettres de « océan Atlantique »… » jusqu’à sortir du papier » continue A. Galbert le collectionneur-directeur de la maison rouge, qui y voit une préfiguration de la scénographie inventée par l’artiste pour cette exposition.

« Ma préoccupation était de pouvoir restituer la complexité du monde, son caractère hétérogène. Pour tenter d’y parvenir, j’ai mis au point un genre de polygraphie avec le dessin cellulaire, une ligne narrative intimiste, plus intérieure et un espace un peu classique dans la représentation, comme dans mes autoportraits de 2003. J’étais concentré sur trois lignes sous-tendues par la question du travail de la limite. C’est la problématique d’une même question qui évolue, se repose et apparaît en ajouts de façon récurrente mais à chaque fois différente dans mon travail. »

Lorsque A. Galbert insiste sur le temps de travail de Zonder – il travaille plus de 12 heures par jour, ce qui tranche avec le dilettantisme affiché par de nombreux artistes dits contemporains. Il s’agit de souligner la valeur du travail, de son temps, comme chez Martial Raysse par exemple, qui réutilise les techniques extraordinairement lentes du passé. J. Zonder continue :  » il y a un temps de travail nécessaire et le temps de l’histoire. Un temps long et régulier mais incompressible. (…) c’est un temps où la densité de la matière est fonction du temps passé à accumuler de minuscules portions d’espaces. C’est comme si je voulais ressentir l’immensité du moléculaire et, par ce biais, faire rentrer, du moins potentiellement, toutes les histoires qui m’on t précédé. On ne produit rien seul, c’est un dialogue ininterrompu qui passe de génération en génération depuis le paléolithique. » Les conversations avec le passé comme avec le présent innervent véritablement tout son travail (Bosch, Dürer, Ingres, Degas…). Elles lui permettent de « reprendre la main », dit-il, face à un monde qui proclame une soit-disante » fin de l’histoire » qui les autoriserait à ne rien faire. « une société qui choisit d’adopter une stratégie d’évitement ou de quasi-déni face au principe de responsabilité et donc de culpabilité, ignore la véritable teneur des choses, et provoque l’éclatement de sa structure ». les citations omniprésentes sont « un travail d’apprentissage, d’appropriation technique de la forme et de la distance pour, dites-vous, « acquérir de nouvelles capacités de représentation » dit Y Benaï, et Jérôme Zonder de répondre :

« là encore, c’est le rapport historique dont je parle. Effectivement, tout s’est mis en place aux Beaux-Arts? Je ne faisais pas de bande dessinée mais des autoportraits envisagés comme un catalogue raisonné du corps humain, une planche d’anatomie d’une précision chirurgicale. J’examinais de façon obsessionnelle les différentes parties de mon corps et, par exemple, il m’a fallu – dans le cadre d’un autoportrait grandeur nature – six mois pour, notamment, compter et reproduire les poils de mes avants bras. »

 

 

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