roue MD

Marcel Duchamp est un des artistes majeurs du XXème siècle qui, face à Picasso artiste peintre et sculpteur, incarne la figure de l’ « an-artiste », l’artiste qui refuse de créer. La « roue de bicyclette », conçue en 1913 par M. Duchamp, est une œuvre célèbre : pour la première fois, il ne crée plus, mais utilise des objets tout faits qu’il assemble. A ce titre, on pourra se demander s’il est opportun déjà, de parler de ready-made. par delà cette question importante dans le développement de l’histoire de l’art moderne, on pourra aussi chercher à comprendre la signification de son geste et de la disparition de l’œuvre originale, qui n’est plus connue aujourd’hui que par des copies des années 60.

l’œuvre est constituée d’une simple roue de vélo noire sans la chambre à air et le pneu qui la rendraient utilisable,  fixée à l’envers sur un tabouret blanc de grande hauteur. Comme sur la photo présentée ici, l’œuvre est en général exposée devant des murs blancs de façon à ce que le tabouret s’y confonde et que l’ombre de cet objet étrange s’y reflète plus facilement.

On pourrait rapprocher cette œuvre des ready made que Duchamp réalisera à partir de 1914, comme le « porte bouteille ». Mais ici, on remarquera que Duchamp ne se contente pas de faire une œuvre d’art en utilisant un objet « tout fait ». La « roue de vélo » n’est pas un objet tout fait, promu à la dignité d’œuvre d’art par la seule décision de l’artiste : Duchamp assemble deux objets qui n’ont rien à voir entre eux : il assemble des objets incongrus,  et réalise ainsi une œuvre plus proche du collage cubiste comme Picasso et Braque en réalisaient depuis la « nature morte à la chaise cannée » de Picasso (1912). i

 le buisson.  huile sur toile (1911-12)

nature morte à la chaise cannée
collage et huile sur toile (Picasso.1912)

Ici le vélo et le tabouret qu’il visse l’un au dessus de l’autre n’ont aucune signification réaliste ; dans l’œuvre de Picasso, le cannage « représentait  » la chaise près d’une table où était « représentée » une nature morte. l’œuvre restait mimétique. Duchamp au contraire, prit conscience en 1913 au salon de l’aviation que la peinture était dépassée dans ses intentions mimétiques ou esthétique: « C’est fini la peinture. Qui peut faire mieux que cette hélice ? » déclara-t-il à Brancusi lors de cette visite. Dans « la roue de bicyclette », il  joue avec les forme de façon plus ludique et formelle, sans doute plus proche en cela des « contrereliefs » de Tatline.

 le buisson.  huile sur toile (1911-12)

relief
Tatline. 1916

Celui-ci ne jouait plus que sur les formes et l’aspect tactile des ses assemblages constructivistes. Comme lui ou les ingénieurs auxquels tous deux se réfèrent, Duchamp utilise des objets neutres, la roue et le tabouret sont neufs et sans histoire, pour nous mettre à distante affective de ce qu’il choisit d’utiliser. Il ne s’agit pas d’évoquer la forme du vélo qui vient d’être inventé quelques années auparavant, mais d’utiliser un motif qui suggère le mouvement face à la stabilité.

 

Le tabouret continue à être stable et la roue de tourner. Les premiers biographes de Duchamp ont souvent raconté qu’il aimait passer près de la roue et la faire tourner pour qu’elle projette sur les murs des ombres comme le ferait un feu de cheminée. Duchamp aimait la beauté de cet objet, comme il aimait aussi la modernité de la vitesse. Dans « moulin à café » déjà ou dans le « jeune homme triste dans un train », il avait déjà pris le mouvement comme sujet. En 1913, l’automobile est déjà courante, et l’avion ne cesse de progresser. La traversée de la Manche date de 1909. En 1912, les futuristes aussi avaient affirmé l’importance de la vitesse dans les œuvres qu’ils exposèrent à Paris. « jeune fille courant sur le balcon » de Balla représente ce mouvement.

 le buisson.  huile sur toile (1911-12)

« fillette courant sur le balcon »
huile sur toile (Balla.1912.milan)

Mais contrairement à la roue de bicyclette, il ne s’agit là que d’une représentation du mouvement. Duchamp  choisit au contraire un objet moderne – le vélo – et  intègre le mouvement dans l’œuvre même, inventant déjà ce que sera en 1955-60 l’art cinétique.

 
Il ne représente pas la modernité et le mouvement mais les met au cœur de son œuvre.

Le dernier point à souligner  dans cette œuvre tient à l’histoire de ce premier ready made. Ce ready made est d’abord une réponse au rejet  du « nu descendant l’escalier » de 1912. Lors de sa première exposition à Paris au Salon annuel, deux de ses amis cubistes (Gleizes et Metzinger )lui exprimèrent alors leur désapprobation devant ce qu’ils considéraient comme une allégeance aux futuristes italiens qu’ils entendaient combattre. Duchamp s’était alors emporté et avait retiré sa toile avant de l’exposer avec un énorme succès à Barcelone, New York et Chicago. Ce rejet par ses amis cubistes le poussa sans doute encore un peu plus à remettre en cause la peinture. A peu près à la même époque que Kandinsky qui inventait à Munich l’art abstrait, Duchamp abandonne la peinture pour inventer un art nouveau, celui du ready made, c’est à –dire, l’art « déjà fait ». la « roue de bicyclette » n’est pas tout à fait un ready made, car Duchamp fait encore quelque chose, il inverse la roue qui se dresse vers le ciel, et fixe les deux objets. Certains parlent de « ready made assistés » pour les opposer aux autres. Cependant Duchamp insiste ici d’abord sur l’importance, non de sa technique mais de son choix. Comme L de Vinci avant lui, Duchamp dit que l’art est « une chose mentale », et non un savoir faire.

 

La « Roue de bicyclette » de 1913 est une œuvre emblématique de Duchamp, car elle réunit toutes les caractéristiques de ses plus célèbres readymade.  Par sa neutralité, l’œuvre nous empêche d’être séduits, elle nous met à distance affective pour que nous apprécions d’abord la modernité du mouvement de cette roue, mouvement qui reste alors le sujet principal de Duchamp. Le choix des objets utilisés est la seule action de Duchamp qui remet ainsi en question toute l’histoire de l’art  .

 

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